Industrialisation au sud, crise dans le Nordeste
Au Brésil, du nord au sud, la famille patriarcale était la cellule de base de l’organisation de la société. C’est dans les maisons de maître que se prenaient les décisions économiques et sociales de la municipalité, de la province et même du pays. Autour de la maison de maître gravitaient les nombreux filleuls et protégés, héritiers du régime esclavagiste.
La Vieille République (1889-1930) était dominée par les barons du café du Sud, qui se modernisèrent pendant cette période. Les classes moyennes et populaires urbaines du Sud se développèrent — mais leur insatisfaction aussi : de nombreuses rébellions et grèves (le Parti communiste du Brésil est créé en 1922) éclatèrent contre le gouvernement oligarchique, ou pour de meilleures conditions de vie.
Le Nordeste était loin de tout cela. Les plantations de l’intérieur, incapables de s’adapter aux nouveautés de l’industrialisation, furent englouties par les forces émergentes du capitalisme moderne. Les usines commencèrent à acheter aux plantations leur production brute, c’est-à-dire la canne à sucre non transformée. Les plantations, devenues simples fournisseurs de matières premières, furent prises en otage par les usines et se transformèrent en plantations de Crépuscules. Les cheminées des sucreries, dont la fumée pointillait autrefois le paysage du Nordeste pendant la récolte, s’éteignirent peu à peu.
C’est la crise chez les oligarques du sucre. Certains réussirent à se transformer en industriels modernisant leurs sucreries, et emménagèrent avec leur famille dans la capitale. Les autres, cousins pauvres de l’intérieur du pays, virent fondre leur patrimoine et s’engagèrent parfois dans des luttes foncières sanglantes pour repousser les limites de leurs immenses propriétés, dans l’espoir de compenser ainsi la perte de productivité.
Cependant, plus on s’enfonçait dans le sertão, plus les coronéis et leurs hommes de main perdaient en autorité pour laisser place aux béats et aux cangaceiros.
Dans l’intérieur du Nordeste : coronéis, cangaceiros et béats
Les coronéis existaient aussi au Sud — ce sont les barons du café — mais ce fut dans le Nordeste que leur pouvoir eut l’emprise la plus forte.
Les cangaceiros étaient des bandits, typiques du sertão Nordestin, armés jusqu’aux dents. Ils existaient depuis le XVIIe siècle, mais acquirent une autre dimension à partir du milieu du XIXe siècle. L’apogée de leur pouvoir se situe entre 1870 et 1940. Servant très souvent d’hommes de main pour les coronéis et les hommes politiques, ils se distinguaient par leur cruauté partout où ils passaient. Cependant, comme le fait remarquer José Lins : L’histoire du cangaço dans le Nordeste brésilien est intimement liée à l’histoire sociale du patriarcat, à la vie d’une région dominée par le commandement du seigneur des terres et des hommes, comme s’ils étaient des barons de serfs.[1]
L’histoire a surtout retenu d’eux la figure de Robin des Bois, de défenseurs des pauvres et des opprimés. Antonio Silvino, au début du XXe siècle, est le premier cangaceiro populaire, héros de la lutte des marginalisés contre le gouvernement — bien qu’il eût signé, comme les autres cangaceiros avant lui, des accords avec certains maîtres de plantation. Lampião[2], qui agissait dans le Nordeste dans les années 1920 et 1930, acquit une popularité encore jamais atteinte chez les cangaceiros. Il fut traqué par l’État fédéral dans une chasse à l’homme inédite. À sa mort, en 1938, le cangaço disparut[3].
Enfin, le paysage Nordestin de l’époque ne serait pas complet sans mentionner les béats, ces figures messianiques qui parcouraient le sertão, prêchant la Bible, faisant des prophéties et remettant en cause l’ordre social. Le plus célèbre d’entre eux fut le prophète Antonio Conselheiro, qui a déclenché une guerre nationale, la guerre de Canudos (1896-1897). Celle-ci opposa les troupes de l’État de Bahia, puis les troupes fédérales, à 30 000 colons fanatiques installés à Canudos et dirigés par
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[1] José Lins do Rego, Presença do Nordeste na literatura brasileira, 1957.
[2] En littérature jeunesse, voir le petit roman sur la vie de sa compagne : Maria Bonita, une femme parmi les bandits, Paula Anacaona, éd. A dos d’âne, 2016.
[3] José Lins do Rego a écrit en 1953 le roman Cangaceiros. À venir aux éditions Anacaona…