Nous parlons souvent des saraus chez Anacaona, car nous avons publié à plusieurs reprises des textes issus de ce mouvement culturel (Je suis toujours favela, Je suis Rio).
L’excellent écrivain Jean-Yves LOUDE (l’auteur de Pépites brésiliennes, que je recommande fortement!) l’a très bien décrit dans un post Facebook de 2014 que je reprends ici…
LA PÉRIPHÉRIE AU CENTRE DE HAUTS DÉBATS
Bienvenue à la FLUPP (prononcez Floupi) !
Ces cinq lettres annoncent un projet majuscule, un défi créatif comme seuls des acteurs impavides et rompus à la culture urbaine de Rio peuvent en imaginer. Définition de FLUPP : Fête littéraire des Périphéries. Après une semaine d’une intense participation, j’ai moi-même du mal à réaliser ce que je viens de vivre. Disons que j’ai eu le privilège d’être invité à une fête du livre quasi idéale, non seulement parce que l’organisation était parfaitement maitrisée, mais surtout parce qu’elle répondait vraiment à un idéal.
Le concept est aussi simple à dire qu’effroyablement complexe à réussir : créer un événement littéraire de tout premier ordre avec, pour cette seconde édition, douze écrivains brésiliens et quatorze auteurs venus des quatre coins du monde (Allemagne, Afghanistan, Royaume Uni, Egypte, Irak, France…), installer les meilleures structures d’accueil et d’échanges possibles, de traductions simultanées, dans un quartier de Rio, Vigário Geral, connu pour son éloignement, ses difficultés économiques et sa réputation de zone « sensible ». C’est justement ce qualificatif qu’ont pris au mot les deux concepteurs initiaux du projet, Julio Ludemir et Ecio Salles, tous deux écrivains fascinés par la créativité enflammée et féconde des communautés marginalisées, rendues « sensibles » à force d’être exposées aux combats essentiels de la survie dans un monde dont les règles se font et se défont en dehors d’elles.
Voilà l’incroyable aventure humaine qui s’est déroulée du 20 au 24 novembre 2013 et au cours de laquelle j’ai pu évoquer, devant des publics adulte et jeunesse, mes thèmes chers sur les résistances des Afriques et des Afro-brésiliens. Ce festival, qui aurait pu, sur mesure, être installé à Paraty ou Leblon, a été délibérément, audacieusement, planté à vingt-cinq kilomètres du centre, en zone Nord, pour que ceux qui sont habitués à recevoir si peu de la vie, soient gratifiés du meilleur de la réflexion, de la poésie, mais aussi (et c’est là la force magistrale de la Flupp) pour que les invités venus de loin apprennent et s’enrichissent au contact de leurs hôtes de Vigário Geral, grâce à des échanges insolites d’une profonde vitalité.
Oui, ce furent réellement cinq jours de douce euphorie (c’est le mot le plus juste) à profiter de spectacles montés au cours de l’année, comme cet hilarant « Shakespeare Funk » joué par des adolescents moqueurs, doués et bien dirigés ; à écouter les résultats des ateliers d’écriture suscités les samedis dans différentes périphéries (car la FLUPP ne se contente pas d’une semaine d’effervescence, elle agit entre deux éditions) : à jouir des éliminatoires « da Batalha do Real » qui couronne les champions de rimes Free Style ; à assister aux tables rondes en compagnie d’un public gracieusement hétéroclite d’enfants en mouvements, de mères avec bébés, d’universitaires patentés, d’érudits arabes, d’illustrateurs de Bédé, d’étudiants en quête d’autre langages, tous, et moi le premier, conquis, émus, réjouis par le charme pacificateur du dialogue et de la culture partagée.
Jean-Yves Loude, écrivain