Un bel article du quotidien La Croix aujourd’hui ! Le voici retranscrit.
CONCEIÇÃO EVARISTO, LA VOIX NOIRE DES FAVELAS
Cette figure importante de la littérature afro-brésilienne était invitée au dernier Salon du livre de Paris, en mars 2015, alors que paraissait son premier ouvrage traduit en français, « L’Histoire de Poncia ». Par Frédérique Schneider.
Conceição Evaristo a toujours écrit. À l’école, elle aimait les rédactions du type « Racontez vos vacances… » Les fictions qu’elle imaginait compensaient la pauvreté des favelas dans lesquelles elle grandissait. C’était le seul moyen dont elle disposait pour vivre ses rêves. « J’aime écrire la fiction comme si j’écrivais la réalité, la vérité », souligne-t-elle d’un air malicieux. « J’utilise un terme portugais qui correspond à cela, c’est “écrit-vie” plutôt que “écrivit”. »
Conceição Evaristo est née en 1946 dans une famille misérable des favelas de Belo Horizonte au Brésil. « Petite fille, je ne comprenais pas pourquoi nous vivions si mal, alors que tout le monde autour de moi travaillait beaucoup. Ma mère ramassait les vieux papiers. Elle prenait des vieux journaux et inventait des histoires à partir des images. Elle s’est ainsi alphabétisée en même temps que ses enfants. » La maison familiale, dénuée de biens, était habitée par les mots. « Chez nous, tout était raconté. »
SEULE DE LA FRATRIE À ALLER À L’UNIVERSITÉ
Parmi ses neuf frères et sœurs, elle est la seule à être allée à l’université. Sa mère et ses tantes, quasi analphabètes, ont pourtant veillé à ce que tous les enfants aillent à l’école. En 1971, elle passe le concours d’institutrice et enseigne dans une école publique de Rio de Janeiro. Elle reprend les études à 40 ans et obtient un doctorat en littérature comparée en 2011.
Conceição Evaristo a commencé à publier des nouvelles et des poèmes en 1990 dans une anthologie qui rassemble des textes d’écrivains afro-brésiliens (Cadernos Negros). L’Histoire de Poncia,son premier roman, publié en 2003, est aujourd’hui au programme du baccalauréat brésilien.
Il raconte les errances d’une petite-fille d’esclaves, depuis son enfance à la campagne jusqu’à l’âge adulte dans les favelas. « On crée à partir de l’endroit où ses pieds sont enracinés, explique-t-elle. Rien n’est réel, mais rien n’est mensonge. »
LE DIFFICILE PARCOURS D’UNE AUTEUR DES FAVELAS
Le chemin est difficile pour une auteur issue des favelas. Dans l’imaginaire brésilien, un écrivain appartient aux classes privilégiées.Et quand on est femme et noire… on cumule les handicaps. « Nous sommes perçues au Brésil comme celles qui cuisinent et dansent la samba… et cet imaginaire en génère un autre : les femmes noires ne peuvent pas être des productrices de savoir. »
Pour Conceição Evaristo, l’écriture permet de laisser sa marque dans le monde. « Nous, les afro-descendants, avons perdu beaucoup de notre mémoire. La fiction est pour moi un lieu de réinvention. »
Dans L’Histoire de Poncia,elle tente de retisser une trame historique déchirée par le temps. L’identité se retrouve par décryptage attentif des histoires racontées dans les familles. Ainsi ce merveilleux arc-en-ciel sous lequel il ne faut pas passer, sous peine de changer de sexe. Une croyance qui renvoie à une histoire originelle, celle des Orishas Nago du Nigeria. « C’est la culture par-derrière », dit-elle. Ou encore, reprenant l’écrivain martiniquais Édouard Glissant : « Dans la culture, certaines traces ne peuvent pas être effacées. »
LA QUESTION DE L’IDENTITÉ
Cette identité peut-elle se retrouver en retournant aux origines, en Afrique noire ? « Une des plus grandes émotions de ma vie, c’était un voyage au Mozambique, il y a deux ans. Dans l’avion, au-dessus de l’Atlantique, j’imaginais les navires négriers qui allaient dans l’autre sens. Mon arrière-grand-père était esclave. Je serais curieuse de savoir de quel pays d’Afrique je viens. Nous sommes tous frères et sœurs par-dessus l’océan », explique-t-elle avec émotion.
Conceição Evaristo attache une importance primordiale à l’imaginaire. Elle connaît le réel qui tue, alors que la parole et l’écriture libèrent. Imaginer, c’est aussi rêver et créer pour lutter contre l’échec individuel et social, la solitude et le silence.
L’écrivain insiste sur le rôle des écoles, des livres et des mères courage qui transmettent des « parcelles » de culture dans un milieu qui « ramasse les miettes ».
Journal La Croix du 19/05/2015
L’Histoire de Poncia est disponible ici sur le site ou en librairie, ainsi qu’en livre numérique.
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