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Thomas Piketty et les inégalités au Brésil

Pour l’économiste Thomas Piketty, le Brésil ne pourra connaître la croissance s’il ne réduit pas ses inégalités

L’auteur du Capital au 21e siècle fait désormais partie d’un groupe de recherches sur les pays en développement comme le Brésil, la Chine et l’Inde. Selon les premiers résultats obtenus, l’inégalité brésilienne est plus importante que ce que les études antérieures indiquaient. Les 10% de Brésiliens les plus riches possèdent plus de la moitié des richesses au Brésil (voir à ce sujet notre article ici)

Traduction partielle de l’article de la Folha de São Paulo de Ricardo Balthazar. Tous droits réservés.

Folha : Selon l’étude de Morgan [du groupe de recherche de Piketty], la richesse de la moitié la plus pauvre a augmenté à côté de la richesse des plus riches. Pourquoi la concentration au sommet de la pyramide est-elle si préoccupante ?

Piketty : Parce que, malgré les avancées de ces dernières années, le Brésil continue à être l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Dans notre base de données, nous n’avons trouvé un tel degré d’inégalité qu’en Afrique du Sud et dans les pays du Moyen-Orient.

Il y a eu une petite amélioration dans les tranches inférieures, qui ont bénéficié des programmes sociaux et de la valorisation du salaire minimum. C’est une bonne chose, mais les pauvres ont gagné « sur le dos » de la classe moyenne, et non des plus riches, et l’inégalité reste très forte.

Folha : Réduire l’inégalité, est-ce seulement une question de justice sociale, ou aussi d’efficacité économique ?

Piketty : Les deux. Le degré d’inégalité extrême que nous avons au Brésil n’est pas bon pour la croissance économique et le développement durable.

L’histoire des Etats-Unis et de l’Europe montre que ce n’est qu’après des grands chocs politiques, comme les deux grandes guerres du 20e siècle, que l’inégalité a diminué et que l’économie a cru fortement, permettant que des segments plus importants de la population en recueillent les bénéfices.

Au Brésil, les élites politiques et les différents partis qui ont gouverné le pays ces dernières années ont été incapables de mettre en place des politiques conduisant à une distribution plus égalitaire des richesses et des revenus. Je crois que c’est pourtant une condition préalable à la croissance économique.

Folha : Selon vos données, la richesse aux mains des plus fortunés se maintient intacte au Brésil. Pourquoi ?

Piketty : Une partie de l’explication peut résider dans l’histoire du pays, le dernier à abolir l’esclavage [en 1889]. Mais ce n’est pas tout. Des politiques gouvernementales différentes auraient pu faire la différence.

Le régime fiscal est peu progressif au Brésil. Il y a des exceptions pour les revenus du capital, pour les dividendes payées par les entreprises à leurs actionnaires… L’impôt sur les revenus les plus élevés et l’impôt sur les successions sont peu élevés au Brésil, par rapport aux autres pays plus développés.

Aux Etats-Unis, en Allemagne, en France, au Japon, dans tous ces pays, le taux d’imposition le plus élevé pour l’impôt sur le revenu est compris entre 35 et 50%. Au Brésil, le taux d’imposition maximum sur le revenu est de 27,5%.

Folha : Une imposition plus forte des revenus plus élevés ne risque-t-elle pas de provoquer une fuite des investisseurs ?

Piketty : Partout, les élites trouvent toujours des tas d’excuses pour ne pas payer d’impôts. La question est de savoir pourquoi l’élite brésilienne a aussi bien réussi à éviter les changements du régime fiscal.

Dans d’autres pays, les élites n’ont pas accepté pacifiquement de payer plus d’impôts. Ce fut un processus chaotique et violent, souvent. J’espère que le Brésil aura plus de chance et pourra faire cela sans passer par des chocs traumatiques comme une guerre. C’est déprimant de voir que plusieurs décennies de démocratie au Brésil ont été incapables de promouvoir les changements dans ce domaine.

J’ignore de quoi sera fait l’avenir. Mais je peux dire qu’il est possible d’avoir un régime fiscal plus juste, une distribution des revenus et des richesses plus équilibrée, et plus de croissance économique en même temps. Les autres pays en sont la preuve vivante.

Folha : Dépenser de l’énergie pour résoudre ce problème ne va-t-il pas détourner l’attention des politiques sociales, qui pourraient contribuer davantage à la réduction des inégalités ?

Piketty : Il faut faire deux choses. Morgan montre que les politiques sociales adoptées ces dernières années ont été bénéfiques pour les pauvres, mais insuffisantes. Il faut améliorer leurs conditions de vie et investir dans l’éducation et les infrastructures, mais il faut aussi un régime fiscal plus juste pour financer cela et réduire la concentration des revenus au sommet.

Je ne suis pas ici pour donner des leçons. Mon pays est d’ailleurs très hypocrite à ce sujet. Mais je crois qu’au bout du compte,

tout le monde profitera d’un régime fiscal plus juste et d’une société moins inégalitaire, plus inclusive et plus stable.

(…)

Traduction partielle de l’article de la Folha de São Paulo de Ricardo Balthazar. Tous droits réservés. Traduction © Editions Anacaona.

Ces thématiques vous intéressent ? Rendez-vous dans Je suis favela et Je suis toujours favela, deux recueils de nouvelles, avec une partie documentaire à la fin, pour en savoir plus.

Paula

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