J’ai rencontré (virtuellement) Mathilde Begu, une étudiante française à l’université d’Oregon, qui souhaitait dans le cadre d’une de ses dissertations faire le lien entre Solitude la flamboyante, et le livre (absolument génial) de Françoise Vergès, Un féminisme décolonial.
Autant dire que j’étais très, très partante ! 😄 Le texte de Mathilde Begu est en anglais, et disponible ici. Voici la traduction de quelques passages.
J’affirme que Solitude la flamboyante est une oeuvre de féminisme décolonial, tel que l’a théorisé la politologue Françoise Vergès. Selon elle, le féminisme décolonial consiste à “dépatriarcaliser les luttes révolutionnaires” (p.19). Anacaona fait exactement cela lorsqu’elle raconte l’histoire de Solitude.
Tout d’abord, l’autrice insiste sur les questions de mémoire et d’histoire, en réécrivant l’histoire de Guadeloupe et la rébellion des esclavagisés. Ensuite, c’est par le biais du récit, mais aussi par la forme, que l’autrice fait passer son message, car les modifications du langage visent à libérer les protagonistes des idéologies de genre racistes et rigides. Enfin, Anacaona souligne le rôle des femmes racisées dans leur propre destinée, cherchant ainsi à se libérer du “féminisme civilisationnel” qui, selon Vergès, domine encore les discours féministes actuels.
Une réécriture de l’histoire officielle
(…) En faisant référence à des faits historiques indéniables, Anacaona réécrit le récit puisque l’histoire est racontée par une femme esclavagisée qui, jusqu’à présent, a toujours été racontée. (…) Anacaona altère le décrit en rendant les esclavagisés actifs dans leur libération plutôt que passifs. (…) Le roman insiste sur les multiples compétences et l’intelligence que les esclavagisés ont démontré dans leur quête de liberté. (…) Anacaona élève le statut des esclavagisés de Guadeloupe et anoblit leur rébellion en la comparant à la Révolution française. Jusqu’à présent, celle-ci était plutôt glorifiée tandis que la rébellion des esclaves était ignorée.
Une langue décoloniale
(…) Anacaona libère aussi ses personnages par la langue qu’elle utilise. Dans Solitude la flamboyante, la langue est décoloniale. Tout d’abord, Anacaona utilise le mot esclavagisé plutôt qu’esclave. Et quand elle utilise ce dernier, c’est avec une majuscule. (…) De même, elle critique l’utilisation du terme mulâtresse. (…) Enfin, elle utilise l’accord de majorité – utilisant l’accord féminin puisque le groupe est composé majoritairement de femmes. Anacaona réforme donc la langue française et l’utilise comme un outil d’empowerment afin de se libérer des idéologies racistes et patriarcales.
Le rôle des femmes esclavagisées dans leur propre libération
(…) Les femmes sont au centre du roman. Solitude est la narratrice de sa propre histoire, et a ainsi une voix, alors que jusqu’à présent on parlait toujours pour elle. En outre, l’autrice ajoute une autre narratrice à son histoire : Anacaona, la princesse d’Haïti qui régnait sur l’île au moment de l’arrivée des colons en 1492. (…)
Conclusion
Solitude la flamboyante est un roman totalement décolonial, dans lequel Anacaona réécrit l’histoire de Guadeloupe et de son peuple en affirmant des faits historiques et en soulignant le rôle actif de la population esclavagisée dans sa libération. L’autrice joue également avec la langue française afin de libérer les peuples colonisés d’idéologies rigides racistes ou genrées encore en vigueur aujourd’hui. Enfin, le roman souligne le rôle des femmes esclavagisés dans leur propre libération, se libérant de l’idée qu’elles auraient eu besoin des femmes européennes pour gagner leur liberté.
« réécrire l’histoire des femmes, c’est suivre le chemin ouvert aux États-Unis, en Amérique centrale et du Sud, en Afrique, en Asie, et dans le monde arabe, pour mettre au jour les contributions des femmes indigènes, des femmes noires, des femmes colonisées, des féminismes antiracistes et anticoloniaux. »
Vergès, p.98
Les conséquences de l’Histoire sont importantes, aussi il est important pour les personnes racisées aujourd’hui de transmettre les connaissances sur leurs ancêtres en racontant leurs histoires. (…) Cela permet à la nouvelle génération de lecteurs en 2020 de combler les lacunes construites intentionnellement par l’idéologie occidentalo-patriarcale.
Merci à Mathilde Begu pour son analyse si sensible !❤️ [Lire son article en entier en anglais ici]