Par Clémence Schilder
Après 1492, L’insurgée des Caraïbes racontant l’histoire du peuple des Taïnos à partir du point de vue de la reine Anacaona… le récit historique continue et cette fois, c’est Solitude qui est mise sur le devant de la scène dans l’ouvrage Solitude, la flamboyante. L’écrivaine Paula Anacaona a choisi d’y retracer la vie de cette héroïne, une jeune métisse esclavagisée dans les années 1780 en Guadeloupe[1]. De “demoiselle de compagnie” à résistante anti esclavagiste, son histoire est source d’inspiration.
“Voici l’histoire de cette femme injustement oubliée. Que par ce livre, justice lui soit, un peu, rendue !”
Paula Anacaona
Comme je l’écrivais dans l’article sur la décolonisation des récits historiques, il apparaît de plus en plus important de rassembler les mémoires des peuples colonisés concernant la période coloniale[2]. En effet, l’histoire de la France reste principalement contée par l’Hexagone. En s’appuyant sur des faits historiques, cet ouvrage propose de changer d’angle : tout est raconté à partir de la perspective d’une personne esclavagisée.
Cet ouvrage romancé et très accessible vous permettra d’apprendre de multiples faits historiques, en voici quelques-uns :
Au cours du récit, plusieurs parallèles sont faits entre l’histoire des colonies française, plus particulièrement ici de la Guadeloupe, et l’histoire de l’Hexagone. Par exemple, le siècle des Lumières est envisagé d’une toute autre manière. Solitude vivra cette période différemment, puisqu’en réalité, c’est la période historique sous laquelle la traite de l’esclavage s’est intensifiée. Après la Révolution française, 40 000 esclaves par an continueront à être déportés comme l’explique l’héroïne :
“Dans leur esprit, la Révolution signifiait […] bien sûr l’Égalité politique : vu leur poids économique, n’était-il pas anormal que lors de la convocation des Etats généraux, il n’y ait eu aucune représentation des colonies ? La Révolution ne modifiait pas le statut des Esclaves, et ils en parlèrent à peine.”
Solitude la flamboyante, p. 112
Ainsi, Solitude décrit tous les enjeux socio-économiques de l’esclavagisme et dépeint avec précision la logique capitaliste qui se cache derrière. Car oui, c’’est bien le système capitaliste qui est à la source de la colonisation. Cette dernière a permis de développer ce système en minimisant les coûts de production grâce à l’exploitation des esclaves. Cet aspect est bien expliqué dans l’ouvrage, notamment à travers les questionnements et doutes des maitres :
“Ou pensez-vous que la canne va se couper toute seule ? Que le sucre se fera tout seul ? “Bla-Bla-Bla, le sucre est taché du sang et de la sueur des Esclaves” pérorent vos amis parisiens en se bouchant le nez ! Fort bien. Plus de sucre ? Dans ce cas, comment comptez-vous remplir les coffres ?”
Solitude la flamboyante, p. 98.
Le récit personnel de Solitude s’ancre alors dans l’histoire collective de l’esclavage. Cet ouvrage vous propose d’expliquer les mécanismes coloniaux et de combler vos connaissances sur l’histoire coloniale française ce qui vous permettra de mieux :
Comme je le souligne continuellement dans tous mes articles, connaître l’histoire coloniale permet de réfléchir sur les rapports de force présents dans nos sociétés occidentales. De multiples chercheur·e·s en sciences sociales remontent dans l’histoire dans le but de comprendre les origines des rapports de pouvoir contemporains. Ainsi, le concept de race apparait comme un système de classification qui a été développé lors des processus de colonisation afin d’établir la domination de la population native (Anibal Quijano).
Cette construction et complexité des rapports de pouvoir sont expliquées en profondeur. Ce livre vous aidera à comprendre les différents rapports de domination instaurés par le biais de la colonisation. Entre maîtres et esclaves, Libres de couleur, marrons et esclaves mais aussi entre hommes blancs ou noirs et femmes blanches, noires ou métisses, les configurations de pouvoir étaient multiples.
“ Race, classe, sexe… N’était-il pas possible de lutter contre ces trois oppressions ?”
Solitude la flamboyante, p. 146.
De plus, certains rapports de pouvoir font écho à ceux d’aujourd’hui. L’héroïne soulève la différence de traitement entre elle et les autres esclaves à peau plus foncée (colorisme), rapport encore d’actualité et qui fait l’objet de plusieurs polémiques…
Face à la violence de tous ces rapports coloniaux, Solitude se rebellera à l’image de nombreux·ses autres esclaves.
Enfin, à travers l’histoire de Solitude, vous pourrez découvrir les différentes stratégies des personnes esclavagisées. En passant par les cérémonies religieuses aux réseaux de solidarités, les actes de résistance étaient divers et variés.
Par exemple, les rassemblements religieux des esclaves représentaient un symbole de résistance sous l’esclavagisme. Effectivement, le Code Noir édicté par Colbert en 1685 articulé en 60 articles, obligeait les esclaves à se plier à la religion du colonisateur. Ces derniers ne pouvaient pas se réunir en groupes pour célébrer selon leurs rites d’origines et étaient soumis à de lourds châtiments corporels en cas de manquements aux règles. Ainsi, seulement par le fait de se rassembler, les esclaves résistaient contre l’oppression coloniale.
Au cours du récit, vous accompagnerez Solitude dans la découverte de ces rites religieux autour de gwo-ka et des orishas :
“En même temps que je conviais les orishas, j’accueillais les pouvoirs surnaturels du gwo-ka qui soulageait la douleur, qui redonnait espoir, qui faisait flamboyer. Je continuais ma quête spirituelle, approfondissant toujours plus auprès des Anciens mes connaissances sur cette religion sans vérité absolue, découvrant toutes ces pratiques qui contrastaient avec les stratégies individuelles de survie de l’habitation en y opposant un collectif. […] C’était cela qui unissait la famille noire.”
Solitude la flamboyante, p. 188.
Vous pourrez également découvrir les récits de marronage, terme qui désigne la fuite d’esclaves se rebellant contre le système colonial, une action centrale dans la lutte.
Vous l’aurez compris, ce livre constitue une source d’apprentissage sur l’histoire coloniale ; en retraçant l’histoire de Solitude, c’est l’histoire de plusieurs peuples colonisés qui sort de l’oubli.
[1] https://www.anacaona.fr/blog/esclave-esclavise-evolution-langage-racisme-slave-enslaved/
[2] https://www.anacaona.fr/blog/lhistoire-effacee-des-peuples-colonises-pour-une-diversite-des-recits-historiques/
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Bonjour Paula, je viens de découvrir votre livre et je voulais vous laisser un petit mot.
Je suis enseignante de francais en Allemagne et je travaille aussi pour un institut de recherches pédagogiques. Je dois créer des exercices pour des élèves allemands qui apprennent le francais. Mon objectif est de leur montrer la diversité de la France . "Solitude la flamboyante " portera auprès de mes élèves la voix des opprimés de Guadeloupe. Merci.
En attendant de recevoir bien vite votre livre,
Cordialement,
Valérie