Le sarau Cooperifa, devenu l’un des plus grands saraus de la périphérie de São Paulo, et une référence en la matière, a récemment fêté ses 15 ans. Chez Anacaona, nous suivons ce mouvement depuis le début 🙂
A cette occasion, Sérgio Vaz, auteur et co-fondateur de Cooperifa, parle à l’équipe du quotidien brésilien Uol des défis du mouvement culturel qu’il a lancé avec son ami Marco Pezão en 2001.
[Pour rappel, le sarau : rassemblement spontané, gratuit, autour de la littérature, où chacun peut déclamer des textes.]
Voici une traduction de quelques extraits de ce reportage.
Lorsque Sérgio Vaz crée la Cooperifa, il était déjà poète et avait des livres publiés, mais il voulait un endroit où lire ses textes et échanger ses idées.
Quand j’ai créé Cooperifa dans un entrepôt abandonné, localisé dans une région qui a déjà été considérée comme l’une des plus dangereuses du monde, nous n’avions pas d’options de loisir ni de culture dans notre quartier. Les seuls espaces publics qu’on avait étaient le bar et l’église.
Ce sarau a donc commencé dans un entrepôt abandonné, ensuite il a été transféré dans un bar, où les manifestations littéraires ont eu lieu pendant un an et demi, et finalement le sarau s’est installé au bar Zé Batidão, d’où il n’est plus jamais sorti.
« Tous les mardis soir, le bar reçoit des poètes, des chanteurs – confirmés ou débutants – et beaucoup de gens intéressés par ce que les autres ont à dire. Ceux qui veulent se présenter s’inscrivent sur une liste et attendent qu’on les appelle, et là ils peuvent se servir du micro pour exprimer leur art. Pour ceux qui viennent regarder, « le silence est une prière », comme on dit là-bas. C’est comme ça que marchent ces rencontres littéraires. »
La région où se trouve le bar Zé Batidão est aussi la région où le poète Sérgio Vaz a grandi, une région considérée en 1996 comme l’une des plus dangereuses du monde.
« On ne se rendait pas compte de ce qu’on était en train de faire, mais en fait on était en train de resignifier le bar. Le bar a toujours été notre centre culturel d’une certaine manière. C’est là-bas où se passaient les réunions de quartier, c’est là où les gens vont après le boulot, c’est là où les gens se réunissent pour parler de foot, de musique, c’est là où il y a la samba, le forró… Il a fallu reconnaître que cet espace était le nôtre. Eh bien, si c’est le bar ce qu’on a, alors c’est le bar que nous allons transformer. »
Pauvreté intellectuelle
Pour Sérgio Vaz le sens du mot « pauvreté », un mot constamment associé à la périphérie, n’est pas forcément lié au fait de n’avoir pas une grosse bagnole ou aucun argent sur son compte bancaire. Il a découvert cela pendant son adolescence.
« Quand je suis allé dans le quartier de la Bixiga [quartier situé dans la région centrale de São Paulo] pour la première fois, au début des années 1980, c’est là que j’ai compris pour la première fois ce que c’était que la pauvreté. Je me promenais dans la Bixiga, et je voyais des bars, des gens qui allaient et venaient, des librairies, des cinés… et je me suis dit : ‘La vache ! Que c’est beau ! Pourquoi nous n’avons pas ça chez nous ?’ Je n’ai pas été fâché, j’ai été jaloux. Si le centre a cette effervescence culturelle, nous aussi dans la périphérie devons en avoir, c’était ça mon idée ! »
Le deuxième déclic est venu quelques années plus tard, à la sortie de son premier livre, en 1988.
Je voyais bien les problèmes physiques et structuraux de la périphérie. Mais à l’époque je ne savais pas qu’on avait ce problème intellectuel. Ce détachement du livre, du mot, de la littérature, de la poésie.
« Nous sommes encore en train de conquérir nos droits, nous luttons pour être considérés comme des citoyens, comme des gens…Nous vivons dans un pays raciste, où on fait des blagues avec notre couleur de peau, notre situation économique. On ne reconnaît pas l’être humain de la périphérie, mais la périphérie dans son ensemble. Nous sommes des chiffres pour le pouvoir public, et pas des êtres humains. L’État doit nous reconnaître comme des Brésiliens. Nous partageons un même espace géographique, une même langue, et nous payons aussi des impôts ! »
Qu’est-ce qui manque ?
« Le grand défi est d’enlever des gens l’échec qui leur a été imposé. Mon nom, ou celui de n’importe quel autre habitant de la périphérie, ne peut pas être associé au succès, à l’argent, au bien-être. On doit se débarrasser de cette idée, et mettre à la place l’idée de la victoire, du succès. C’est pour ça que c’est important de parler des grands groupes populaires, du rap national, du funk, de la samba…Ces gens c’est des guerriers qui ont réussi. C’est fondamental de comprendre que quelqu’un de la périphérie peut aussi réussir. Et la motivation pour évoluer ne viendra certainement pas de l’extérieur de la périphérie. »
L’avènement et l’explosion des saraus, au cours des 15 dernières années, a changé beaucoup de choses dans la mentalité des habitants de la périphérie. Si avant ils avaient comme référence sur leur quartier seulement les infos des journaux concernant les faits divers ou la violence, aujourd’hui ils ont comme référence les saraus, la littérature, la force culturelle qui émerge dans ces quartiers éloignés des centres culturels et économiques de la ville.
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