Hier soir, mardi 7 octobre, avait lieu à la Maison du Brésil un Café littéraire – le premier d’une série mensuelle que l’organisatrice, Mazé Torquato Chotil, espère longue !
Première invitée : l’écrivain brésilienne Luciana Hidalgo, prix Jabuti 1997 pour son livre Arthur Bispo do Rosario, o Senhor do labirinto, et connue pour ses travaux universitaires sur la relation entre folie et art (et littérature).
Pour ceux qui n’étaient pas là, quelques notes rapides, en toute simplicité…
Les débuts…
Après avoir été journaliste pendant 10 ans à Rio, à la rubrique faits divers – “dimanche de grosse chaleur à la plage pour les cariocas”, “rencontre avec un trafiquant”; “mort dans une favela”; etc… – Luciana a senti le besoin de faire une pause : saturée d’infos, prise dans l’engrenage du scoop quotidien, elle n’avait plus le temps de réfléchir… Elle s’est alors tournée vers la littérature. Son parcours n’est pas sans influence puisque l’on retrouve dans l’écriture d’Hidalgo un style, une narration assez journalistique.
Elle se lance donc le défi de faire la biographie du Bispo Rosario – aujourd’hui, il en existe plusieurs, mais Luciana Hidalgo sera la première rédiger son histoire, en 1996.
Elle se passionne pour cet “illuminé” et, par là-même, se plonge dans l’étude de la relation entre art/création/foi.
Le Bispo Rosario
Le Bispo a été interné en 1938, à 29 ans, à l’hospice Colônia Juliana Moreira, après avoir erré deux jours dans les rues de Rio. Sept anges venaient de lui annoncer qu’il était l’Elu… Diagnostiqué schizophrène, Bispo ne sortira plus de cet hospice et y passera 50 ans – à une époque où la politique du gouvernement, passablement eugéniste, faisait de ces asiles de véritables camps nazis, où l’on enfermait les alcooliques, les subversifs, et les déviants de toutes sortes, et d’où peu de gens sortaient …
Le Bispo est découvert en 1982, au moment de l’ouverture démocratique du Brésil : alors que ces “camps” commencent à s’ouvrir, le public y découvre les horreurs perpétrées. Frederic Morais, alors critique d’art, tombe un peu par hasard sur ces 1000 oeuvres réalisées par le Bispo pendant toutes ces années, et rassemblées dans plusieurs pièces dans l’attente de son Jugement dernier. Il propose à Bispo de l’exposer – chose que, jusqu’à sa mort, le Bispo refusera : il n’est pas un artiste, il est un élu de Dieu ; les oeuvres perdraient leur pureté en voyageant…
Ce n’est qu’après sa mort en 1989 que la reconnaissance internationale viendra. Bispo a été exposé au Jeu de Paume (Paris), au Victoria & Albert Museum (Londres), à la Biennale de Venise…
Luciana Hidalgo, le Bispo et Lima Barreto
Luciana se passionne donc pour cet homme, s’interrogeant sur sa folie et son art. Après plusieurs années de recherches qui mènent même l’auteure dans le Sergipe à la recherche du certificat de naissance du Bispo, le livre sort enfin et est acclamé par la critique. O senhor do labirinto reçoit le prix Jabuti 1997 dans la catégorie Reportage – en plaisantant, Luciana dit avoir vécu ce prix comme une récompense a posteriori de ses 10 ans de travail journalistique…
Mais que faire ensuite, après avoir vécu quotidiennement avec une telle personnalité ? Luciana mettra dix ans à publier un second ouvrage. Entre-temps, elle se spécialise dans le rapport entre folie et art, folie et littérature – et elle est à ce titre aujourd’hui invitée à s’exprimer dans de nombreux colloques internationaux.
Elle s’intéresse à Lima Barreto (1881-1922), monstre sacré de la littérature brésilienne… et qui, 15 ans avant le Bispo, avait été enfermé à deux reprises dans la Colonia Juliana Moreira. Non pas pour des raisons psychiatriques, mais pour alcoolisme aggravé. Suite à cette expérience, Barreto écrit Diario do hospicio. Luciana prend assez logiquement cette oeuvre comme sujet de thèse, et le transformera ensuite en livre, son second, Literatura da urgência, Lima Barreto no Domínio da Loucura (2008).
Mais Luciana Hidalgo sent sa créativité “emprisonnée” par la biographie… Elle écrit son premier roman O passeador autour du personnage de Lima Barreto dans le Rio des années 1920, à mi-chemin entre la fiction et la réalité. Mais là encore, elle se heurte à l’impossibilité d’écrire ce qu’elle voudrait, face à l’impératif de respecter les faits historiques…
Elle travaille aujourd’hui à un nouveau roman, sans aucune volonté biographique : Rio-Paris-Rio, autour de deux exilés brésiliens en 1968. Parions que sa créativité, associée à son talent de recherche issu du journalisme, en feront un roman fictionnel interessantissimo !
Enfin, Luciana Hidalgo s’est exprimée de façon intéressante sur sa vie parisienne. Se qualifiant de femme “à l’esprit tropical cartésien”, elle semble se sentir bien entre ces deux cultures qu’elle trouve complémentaires, et son coeur balance entre la culture française et la culture brésilienne. Elle souligne la créativité pouvant naître de la condition parfois instable ou inconfortable d’étranger, où l’on perd ses références – mais pour en créer d’autres.
Enfin, sur sa condition d’exilée (car tout émigré n’est-il pas un exilé ?), Luciana Hidalgo a terminé sur cette jolie phrase de Pessoa : “Minha patria é a lingua portuguesa”…
Rendez-vous le 4 novembre pour un nouveau Café littéraire, avec l’auteure Tomyris Julia Lacerda Andreiolo.