Alors qu’aux Etats-Unis, les couvertures de livres n’hésitent pas à se lancer dans le relief, le gaufrage, et la couleur, en France, elles restent extrêmement sobres. Une caractéristique qui en dit beaucoup sur notre rapport à la littérature.
Lisez ce très bon article de Slate – en voici quelques extraits. J’y ai retrouvé toute ma démarche avec les éditions Anacaona…. en finir avec cette “sacralisation” de la littérature et cette main-mise des grands éditeurs classiques, qui s’arrogent le privilège de leur “bon-goût”… Vive les couvertures colorées, vive les illustrations intérieures !
Lisez plutôt : (Lire l’article en intégralité ici sur le site de Slate.)
La sobriété des couvertures de livres s’inscrit dans une logique de sacralisation, très française, de la littérature, qui remonte au XVIIIe et surtout du XIXe siècle. (…)
«La France a un rapport particulier avec les livres», déclarait encore François Hollande à la veille de l’ouverture du salon du livre, lors d’une conférence de presse. «Ils font partie de notre histoire, de notre identité».
Un livre, ce n’est pas un paquet de Pépito. On ne va pas mettre un nain en sombrero en photo pour le vendre. On va mettre le texte. Et c’est la seule chose qui compte. «Un livre n’est pas un tableau qu’on met au mur. Il ne doit pas être esthétisant. Lorsque c’est trop chargé, trop compliqué, je trouve ça de mauvais goût, comme quelqu’un d’endimanché», estime Olivier Cohen, directeur-fondateur des Editions de l’Olivier, qui publie notamment Jonathan Franzen. «Il y a quelque chose d’assez français dans le rapport à la littérature qui veut qu’elle se suffise à elle même, que l’on n’achète pas les livres pour leur couverture», estime Charlotte Brossier, directrice commerciale de chez Stock.
“Cette sobriété des couvertures est en effet une marque de fabrique française», sourit Jean-Yves Mollier, historien de l’édition, auteur notamment d’Edition, presse et pouvoir en France au XXe siècle et de Où va le livre?. «Il y a toujours eu une grande réticence de la part des auteurs français à voir leurs livres illustrés, déjà au XIXe siècle. Hugo par exemple s’y opposait le plus souvent, alors que lui-même peignait, qu’il aimait les images». (…)
Quand, à la fin du XIXe, apparaissent les techniques permettant de faire pour un prix très bas des couvertures illustrées en couleur, ce sont les éditions populaires qui s’en emparent, rappelle Elisabeth Parinet, historienne auteure notamment d’Une histoire de l’édition contemporaine XIXe-XXe siècle. «Il s’agit alors de caractéristiques bien précises: c’est très accrocheur, on voit des yeux exorbités, du sang, des serpents… Ce sont les codes des suppléments illustrés des journaux populaires comme le Petit Journal qui sont repris».
Pour les livres qui ne sont pas populaires, certains éditeurs mettent aussi des images. Mais la plupart des auteurs protestent: ils trouvent que ces couvertures illustrées (pourtant pas toutes de mauvais goût) versent dans le racolage. (…)
C’est dans ce sillage que vont apparaître les éditions d’une sobriété exemplaire dont —surtout— Gallimard. «Le clivage apparaît alors»souligne Elisabeth Parinet. «Les images deviennent le marquage de la littérature populaire. La sobriété celui de la littérature plus élitiste.»
Et comme le poids de Gallimard est insurpassable dans l’édition française, «la maison a valeur de référence pour toutes celles qui sont venues après», explique François Vignale, chercheur en histoire de l’édition. «Elle a opéré un conditionnement des éditeurs au sujet de ces couvertures. La NRF a été l’un des exemples du renouveau littéraire en France et il y a eu un phénomène d’imitation».
Cette sacralité du texte, qui prime sur toute chose, est si forte que lorsque le Livre de Poche naît en 1953, avec ses couvertures polychromes, vives, cela déclenche un immense débat au sein de l’intelligentsia française..
«La naissance du Livre de Poche a été une révolution éditoriale et culturelle», juge Cécile Boyer-Runge, directrice générale du Livre de Poche, qui fête cette année ses soixante ans, et dont une exposition au Salon du livre retrace le cheminement graphique. (…)
«La question des couvertures a pesé dans cette polémique», estime Bertrand Legendre, car les couvertures de poche étant illustrées, elles mettaient la littérature, selon les détracteurs, sur le même plan que des faits divers illustrés dans la presse.
Encore aujourd’hui, quand les grands formats passent en poche, ils bénéficient de couvertures plus graphiques, plus colorées. S’écartant de leur sobriété originelle. Et les genres littéraires moins bien considérés, voire souvent méprisés, sont aussi dotés de couvertures plus accrocheuses: la science-fiction, le fantastique, la chick lit, la littérature pour jeunes adultes…