Je viens de lire une étude passionnante d’une chercheuse (Regina Delcastagnè, université de Brasilia), sur les questions de couleur de peau et de littérature. Elle montre, données à l’appui, la persistance des stéréotypes raciaux et la faible représentation des Noirs dans la littérature.
La chercheuse a ainsi analysé 549 livres, écrits par 304 auteurs, publiés dans les principales maisons d’éditions brésiliennes entre 1990 et 2004. Il apparaît ainsi que :
96% des auteurs et 79% des personnages de la littérature brésilienne sont Blancs.
De quoi rester… sans mots !
Une fois mise à jour l’absence des Noirs dans les romans brésiliens, Mme Delcastagnè a analysé la façon dont ils apparaissent. Quand ils sont présents, ils sont plus souvent assistants de l’intrigue que véritablement protagonistes. Elle n’a constaté que peu de Noirs narrateurs, ce qui montre l’impossibilité des Noirs à parler du monde qui les entoure – en d’autres termes, les Noirs parlent surtout par l’intermédiaire du Blanc.
Concernant le rôle des Noirs dans la littérature : ils sont fortement stéréotypés. Lorsqu’il y a des personnages Noirs, ils sont drogués, bandits, et c’est pratiquement leur seule possibilité d’exister au sein de la représentation littéraire. Et les femmes Noires sont encore plus discriminées…
Il manque dans la littérature brésilienne l’inclusion de vies, de drames, d’oppressions mais aussi les espoirs, les rêves et les utopies des marginalisés (en termes de couleur de peau, mais aussi de sexe ou de classe sociale).
Enfin, selon Mme Delcastagnè, la littérature reproduit voire légitime l’idéologie raciste de la société brésilienne.
Cette présence limitée de personnages Noirs dans la littérature brésilienne finit par retirer toute nuance et renforcer les stéréotypes. Les Noirs sont si peu nombreux que lorsqu’ils apparaissent dans une intrigue, ils deviennent les représentants d’un groupe entier.
Cela ne se produit pas avec les personnages masculins, qui sont si nombreux et variés que chacun est perçu comme « unique ». Le Blanc criminel ou drogué est aux côtés du Blanc médecin, du Blanc écrivain, du Blanc commerçant. Les personnages Noirs n’ont pas cette diversité, puisqu’ils sont limités à quelques métiers, comme on l’a vu plus haut. Enfin, soulignons que les questions de race, de sexe et de milieux sociaux se mélangent : ainsi parmi les livres étudiés 71% des écrivains et 60% des personnages sont des hommes, et 80% appartiennent aux classes privilégiées.
On peut conclure par ces mots de Nei Lopes, écrivain noir Brésilien : “[la société] s’attend à ce que de la plume d’un écrivain afro-descendant sorte le spectacle de la misère, de la violence, de l’exclusion. Pour que chacun reste à sa place. Mais notre peuple a une autre Histoire, d’autres histoires à raconter.”
Pour en savoir plus : en portugais, l’étude de Regina Delcastagnè, sur le site de l’université UNB, et l’interview de Nei lopes (en portugais) ici
Nous sommes donc d’autant plus fiers, aux éditions Anacaona, de publier des auteurs extrêmement talentueux et qui appartiennent aux “minorités”. C’est le cas de Conceição Evaristo, de Lucia Hiratsuka (petite-fille de Japonais) et de nombreux auteurs de Je suis Rio, Je suis favela/Je suis toujours favela.
Et en France ? La question est lancée 🙂
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je rédige actuellement le dernier volet d une trilogie concernant les aspects extrêmement positifs de la creolisation du monde contemporain en cours de
gestation. la lecture de votre site internet a été pour moi d un grand secours.
je vous en remercie sincèrement.
Jean Joseph palmier