Qui sont les narcotrafiquants brésiliens ?
Il y a deux types : le narcotrafiquant « de détail », souvent le plus médiatisé et dont l’arrestation fait les choux gras de la presse mais dont les bénéfices sont relativement minimes par rapport au 2e type de trafiquant : le trafiquant en gros, souvent un homme d’affaires par ailleurs, qui reste très discret…
Traduction partielle de l’article de Gil Alessi publié dans El Pais Brasil.
Les chemins de la cocaïne, depuis la cueillette de la coca par les paysans latino-américains jusqu’aux narines des consommateurs exigeants d’Europe ou des Etats-Unis laissent une traînée mortelle dans les pays du « Tiers-Monde ». Et le Brésil, avec ces 50 000 homicides annuels, n’est pas une exception. Il ne s’agit pas cependant de morts provoqués par des overdoses. Ces homicides sont la conséquence directe des batailles sans fin pour les routes et les marchés, et de la soi-disant « guerre aux drogues ». Le journaliste anglais Misha Glenny évoque dans son livre l’impact de l’échec de la guerre aux drogues.
Quelle est la différence entre un narcotrafiquant de la favela comme Nem [sujet du livre de Misha Glenny, chef du trafic dans la favela de la Rocinha au début des années 2000] et un trafiquant comme le mexicain El Chapo Guzman ?
Il y a deux types de narcotrafiquants au Brésil. Les premiers ce sont les trafiquants comme Nem, qui agissent tout au bout de la chaîne de vente au détail et distribuent la drogue dans les zones urbaines. La cocaïne vient de Bolivie, du Pérou ou de Colombie, et est transportée dans les villes par des « mules », qui transportent la drogue dans des sacs à dos, en bus, en voitures. Leur rôle est fondamental dans l’approvisionnement des villes : près de 50% de la drogue vendue au détail au Brésil est livrée aux gangs criminels par les mules.
Nem [Chef du trafic de drogues à la Rocinha, la plus grande favela de Rio de Janeiro] était un personnage très important – mais son rôle n’a rien à voir avec celui d’un El Chapo, par exemple. El Chapo fait partie du second type de trafiquant – le grossiste, qui approvisionne les marchés les plus riches. Ce second profil existe aussi au Brésil, mais les « Chapos » du Brésil n’ont pas la même origine sociale qu’El Chapo, qui était pauvre. Au Brésil, ce sont des gens de classe moyenne et supérieure, qui ont des entreprises légitimes, généralement dans les secteurs du transport et de l’agriculture. Les bénéfices du narcotrafic sont multipliés quand les trafiquants utilisent un réseau perfectionné de logistique pour transporter des tonnes de cocaïne à travers le pays. On a déjà découvert des chargements de cocaïne dans de la viande de boeuf brésilienne destinée à être exportée vers l’Espagne, par exemple…
Les drogues traversent le Brésil et quittent le pays en général près des ports de Santos et de Rio de Janeiro. Elles sont vendues en gros à des pays d’Afrique de l’Ouest, en Espagne, dans les Balkans, en Hollande et en Irlande.
C’est la fonction essentielle du Brésil sur le marché mondial de la cocaïne : livrer à très grande échelle la drogue produite dans les zones de production dans les autres pays.
On a donc deux profils très distincts, le narcotrafiquant qui vend en gros et celui qui vend au détail ?
M.G. : Oui, ces deux profils de narcotrafiquants n’ont pas grand-chose à voir entre eux. Les profits de la vente domestique de cocaïne au Brésil – 2e pays consommateur de cocaïne au monde – n’ont rien à voir avec l’exportation de cocaïne vers l’Europe. Les profits croissent de façon exponentielle avec l’exportation.
[Misha Glenny parle ensuite dans cette interview de Nem, chef historique du trafic à la Rocinha, qui a eu paradoxalement un rôle plutôt pacifique dans la favela. Il évitait autant que possible la corruption, en se basant sur une seule règle : la corruption, selon lui plus efficace que tout pour consolider son pouvoir]
Voyez-vous une réforme dans cette politique de lutte contre les drogues dans un futur proche ?
Pour l’instant, ce sont les Mexicains, les Colombiens et les Brésiliens qui paient le prix en vies humaines de cette politique mise en oeuvre par Washington et qui est un échec.
M.G. : Mais au fur et à mesure que les Etats-Unis, le Canada et certains pays d’Europe deviennent producteurs, dans un processus lent mais constant, avec de grandes plantations de marijuana au Canada et Etats-Unis par exemple, ces pays ne veulent pas la violence associée à la guerre aux drogues dans leurs rues. On voit donc un appui croissant aux réformes de la législation dans ce pays. (…) Le Colorado, au cours de sa première année de légalisation de la marijuana, a collecté 76 millions de dollars d’impôts, deux fois plus que l’impôt sur les boissons alcoolisées. Les autorités voient qu’il y a beaucoup d’argent à gagner.
Traduction de l’article de Gil Alessi publié dans El Pais Brasil, tous droits réservés.