Ma chère Paula, mon ami, père intellectuel et protecteur Ariano Suassuna est mort ce matin. Je suis triste, très triste et angoissé.” Raimundo Carrero
C’est ainsi que j’ai appris ce matin le décès de l’écrivain et poète brésilien Ariano Suassuna, à l’âge de 87 ans.
Considéré aujourd’hui comme un des plus illustres défenseurs de la culture du Nordeste du Brésil, l’auteur de La Pierre du Royaume, traduit par notre amie Idelette Muzart Fonseca, était né en 1927 dans l’état du Paraiba et avait passé toute son enfance dans le sertão du Paraiba.
Cette région – le sertão – aura une influence déterminante sur sa personnalité et sur son oeuvre littéraire.
Il déménage ensuite dans la ville de Recife (capitale du Pernambouc), qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort. Il y a occupé, entre autres fonctions, celle de Secrétaire à la Culture.
Dans les années 1970, Suassuna avait fondé le Mouvement armorial, défendant l’existence d’un art érudit nordestin à partir de la culture populaire nordestine, mouvement auquel le jeune Raimundo Carrero s’était rapidement identifié, avec son premier roman Bernarda Soledade, Tigresse du Sertão.
Le voici ci-dessus avec José Borges, maître de la xilogravure (gravure sur bois) dont nous essayons de donner un aperçu dans nos romans Terra (voir par exemple André Diniz ou Fernando Vilela).
Ariano Suassuna a d’ailleurs préfacé Bernarda Soledade. En voici quelques extraits :
“Demandons-nous pour quelle raison je considère Raimundo Carrero comme un auteur armorial. C’est à cause des liens qui l’unissent à l’esprit âpre et magique des auteurs de romances populaires du Nordeste, liens qui sautent aux yeux dès le titre de son livre. (…)
“L’autre raison qui m’incite à voir en Raimundo Carrero un auteur armorial est sa façon d’écrire emblématique – comme le sont, d’ailleurs, celle de Deborah Brennand, de Janice Japiassu et la mienne. Le Mouvement n’a été lancé « officiellement », si j’ose dire, qu’en 1970. Mais j’en rêvais depuis longtemps (…)
“La prose âpre et puissante de Carrero tantôt brille comme un cristal de quartz frappé par le soleil – comme aimait à le dire mon maître Euclydes da Cunha –, tantôt rappelle un écu d’armes au blason orné de pièces enluminées, émaillées ou brodées sur une tapisserie. (…) Sa prose rappelle par moments les statues de bois et les images de nos fabricants d’objets de piété – ou, à un autre niveau, de nos sculpteurs armoriaux, toujours très attirés par les martyrs comme saint Sébastien ou Antônio Conselheiro. Certains passages donnent l’impression d’être non seulement écrits, mais aussi taillés au canif, en faisant surgir du bois, à chaque encoche, le rouge du sang. (…)
Puis Suassuna explique le terme “armorial” et sa relation avec le Moyen-Âge.
Enfin, Ariano Suassuna termine ainsi – et quel plus bel hommage que celui-ci, d’un maître à son élève !
Mes mots ne parviendront jamais à dévoiler le secret de Carrero. Nous ne pouvons, en littérature, qu’effleurer le mystère, surtout dans le cas d’un roman aussi fort, aussi beau et aussi singulier que celui-ci. Et voilà pourquoi, plutôt que d’en rester à des considérations purement théoriques, il vaut mieux s’immerger dans l’univers étrange et poétique de cette œuvre dont le titre, aussi beau que son contenu, s’il ne dévoile pas le secret de l’auteur, le recèle peut-être déjà tout entier (…)
Ariano Suassuna était membre depuis 1990 de l’Académie des Lettres brésiliennes et avait été à plusieurs reprises pressenti pour le Nobel de littérature.
Retrouvez Bernarda Soledade, Tigresse du Sertão ici.
(Et ce montage ci-dessous, petit clin d’oeil pour les lusophones !