Alors que Vaste Monde est sur le point de partir sous presse… Voici quelques éléments pour en savoir un peu plus sur cette femme à la vie romanesque !
À 14 ans, elle donne déjà des cours d’alphabétisation au syndicat des dockers de Santos.
Pendant la première période de sa vie, dédiée à l’éducation, la littérature est encore loin d’elle, mais sa vie n’en est pas moins littéraire, pour ne pas dire romanesque.
Elle entre à 24 ans dans la congrégation des sœurs de saint Augustin – dont la caractéristique est de travailler « en civil » dans des communautés défavorisées – et elle en fait d’ailleurs toujours partie aujourd’hui. Pourquoi avoir choisi la vie religieuse ? Elle répond qu’elle avait et a toujours la foi. Femme de tempérament actif, elle ne peut voir une chose mal faite sans avoir envie de l’améliorer. « J’ai vécu à la fin de mon adolescence une époque incroyable de grands espoirs, d’effervescence de l’église… Nous débordions d’espérance, d’enthousiasme… Cette période de 1955 à 1963 a vu surgir la bossa nova, la théologie de la libération, le concept d’éducation populaire…»
C’est l’époque où la conscientisation du peuple apparaît comme nécessaire et stratégique et où l’alphabétisation est vue au sens large : il s’agit également d’apprendre à faire lire la réalité comme elle est. L’alphabétisation militante est conçue comme un moyen de lutter contre l’oppression.
En 1964, les militaires prennent le pouvoir au Brésil. S’y opposant, comme son ami Frei Betto (théologien de la libération), Maria Valéria est très active pendant cette période : elle fait passer des messages aux prisonniers, falsifie des passeports, fait sortir des militants politiques du pays…
Après avoir été professeure de français (langue qu’elle parle parfaitement !), elle s’oriente rapidement vers l’enseignement de la pédagogie et plus spécifiquement vers la méthodologie de l’éducation populaire mise en œuvre en Amérique latine. Elle enseigne d’abord dans les banlieues pauvres de São Paulo puis, à partir de 1972, dans les campagnes déshéritées du Nordeste du Brésil, où elle met en pratique la méthode de l’éducateur Paulo Freire.
Elle s’installe notamment dans les petits villages de l’intérieur du Pernambouc et de la Paraiba, cohabite avec les ouvriers de la canne à sucre, les vachers et autres travailleurs, et tombe amoureuse de cette région. Son grand combat : la lutte contre l’analphabétisme et l’éducation des adultes.
Maria Valéria n’aura de cesse de former, au Brésil et à l’international, des missionnaires et coopérants. Elle participe à des conférences et est consultée sur l’éducation à destination des adultes dans le monde entier : Timor Leste, Cuba (où elle rencontre Fidel Castro et Gabriel Garcia Marquez !), Haïti, Nicaragua (au moment de la révolution sandiniste), Honduras, Costa-Rica, etc.
Elle trouve le temps pour publier des essais qui témoignent, outre son érudition, de son engagement populaire : Histoire de la classe ouvrière au Brésil (3 volumes, 1976, 1977, 1978) ; Il n’est pas possible de servir deux maîtres à la fois : une histoire de l’église dans le Brésil colonial, 1980 ; La vie religieuse féminine dans le Brésil colonial, 1983.
Cependant, c’est à 60 ans que Maria Valéria se lance dans la fiction, au début des années 2000 (« Je savais que j’écrirai un jour, tout comme je savais à 7 ans que je ferai ma première communion et qu’à 15 ans j’irai au bal des débutantes ») et a construit en une quinzaine d’années une œuvre poétique et forte.
Entre fiction, poésie et littérature jeunesse, elle a depuis publié une dizaine de livres, et a remporté en 2015 le prix Jabuti, l’équivalent du prix Goncourt, pour son dernier livre, Quaranta dias.
« Mais vous voulez que je vous dise quel a été le plus grand prix littéraire de ma carrière ? Quand un de mes amis, éducateur populaire, a choisi un de mes livres pour ses élèves ouvriers dans le bâtiment et récemment alphabétisés. Les personnages de mes livres sont des gens comme eux, des gens qui ont quitté le sertão pour travailler dans la grande ville. C’est leur vie qui est dans ce livre. C’est ma plus belle récompense. »
En 2010, elle organise avec Sacolinha (les lecteurs de Je suis favela reconnaîtront l’auteur de Yakissoba !) des ateliers de création littéraire pour les prisonniers et les employés de quatre prisons fédérales brésiliennes de sécurité maximale – autant dire les plus grands délinquants du pays. Ce projet, intitulé « Une fenêtre sur le monde », est financé par l’UNESCO, le ministère de la Justice, de l’Éducation, et de la Culture.
Quand on demande à cette femme bouillonnante quels sont ses projets, elle a du mal à répondre au singulier. Elle divise son temps entre la participation à des événements littéraires, la lecture, les soins à ses soeurs plus âgées avec qui elle habite… Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne connaît pas l’angoisse de la page blanche. « Me concernant, j’aurais plutôt l’angoisse de la tête pleine, et l’angoisse de ne pas avoir suffisamment de temps pour me concentrer et écrire ».
En français, également disponible aux éditions Métailié : Le vol de l’ibis rouge, magnifique roman dont j’avais parlé ici.
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