Cet article intéressant d’Alain Beuve-Méry du journal Le Monde sur la petite édition. Bon, ils ne citent pas encore Anacaona… ce sera la prochaine fois 🙂
Le Salon du livre de Paris se tiendra à la porte de Versailles, du vendredi 21 au lundi 24 mars. Cette 34e édition de la manifestation la plus importante du secteur de l’édition s’inscrit dans un contexte guère flamboyant pour ce dernier.
L’activité continue en effet de s’effriter. Ce marché est aussi marqué par des déséquilibres. Malgré tout, le secteur peut se féliciter de quelques signaux positifs. Par exemple, le fait que l’édition continue de faire rêver et d’attirer des vocations, comme en témoigne l’essor de ce que l’on appelle la « petite édition ». Ce développement est appuyé, notamment, sur l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux.
LE MARCHÉ FRANÇAIS S’ÉRODE MAIS RÉSISTE À LA CRISE
Doucement, mais inexorablement, le marché du livre s’effrite depuis trois ans. En 2013, il a enregistré un nouveau repli de 2,7 %, selon l’institut d’études GFK. Ce faisant, il est passé symboliquement, pour la première fois, sous le seuil des 4 milliards d’euros, pour atteindre 3,9 milliards.
En volume, ce sont 356 millions de livres qui se sont vendus en 2013. Le bilan annuel de GFK est établi sur les résultats des panels mensuels des ventes des détaillants et les données des distributeurs, pour prendre en compte le poids de l’édition scolaire.
Le repli du livre s’établit à – 4 % sur trois ans. C’est aussi la baisse enregistrée par l’ensemble du marché des biens culturels, en 2013, selon GFK. Dans ce marché qui pèse 7,54 milliards d’euros, le livre reste la première industrie culturelle, devant le cinéma et la musique.
Les acteurs de la chaîne ne cèdent donc pas forcément à la morosité. L’année dernière, seuls les jeux vidéo sont restés stables, tous les autres secteurs culturels étant en baisse. Le livre affiche une belle résistance par rapport aux autres secteurs économiques, y compris culturels.
Les éditeurs ont dû amortir deux chocs en 2013. Le premier a été la faillite de deux réseaux de distribution, Virgin et Chapitre, qui leur a coûté 1 point de croissance. Quant aux grands groupes, pour qui le poids du scolaire pèse dans les résultats, ils n’ont bénéficié d’aucun coup de pouce lié à une réforme des manuels scolaires.
Dans ces conditions, le groupe Hachette, numéro un de l’édition en France et numéro trois mondial de l’édition généraliste, a vu son chiffre d’affaires s’établir à 2,066 milliards d’euros, en baisse de 0,5 % en données brutes, mais en hausse de 1,9 % à données comparables.
Le livre numérique continue certes sa progression, mais ne pèse toujours pas économiquement. D’après GFK, les ventes numériques ont atteint 44 millions d’euros, en progression de 110 %, mais elles ne représentent que 1,1 % du marché.
Pour le groupe Hachette, présent dans les pays anglo-saxons, il représente 10,4 % de son chiffre d’affaires en 2013 et 30 % des ventes grand public aux Etats-Unis.
En France, un des paradoxes est que l’on ne connaît pas le nombre réel de maisons d’édition. L’Insee répertorie plus de 3 000 entreprises publiant des livressur tout support, tandis que le Syndicat national de l’édition (SNE) ne compte que 580 adhérents. On peut toutefois estimer le nombre de maisons d’édition ayant une activité éditoriale entre 1 500 et 2 000.
Deux tendances de fond, liées à l’évolution des sociétés contemporaines, sont cependant préoccupantes à terme pour les éditeurs. La lecture apparaît comme une activité à rebours de toutes les autres pratiques culturelles : pour lire, il fautêtre seul et se concentrer. Or le temps de lecture ne cesse de chuter : 5 h 20 par semaine en 2013, contre 5 h 48 en 2011, et 5 h 27 en 2012, observe GFK.
La seconde tendance lourde concerne la débandade des gros lecteurs qui sont d’ailleurs le plus souvent des lectrices. Les personnes qui achètent plus de quinze livres par an sont en baisse régulière : 7 % en 2013, contre 10 % en 2011. Les acheteurs « moyens » diminuent aussi (de 28% à 25%), renforçant la part des petits acheteurs (de 44 % à 47 %). Quant à la part des personnes qui n’achètent pas de livres, elle grimpe de 18 % à 22 %.
LE SECTEUR AFFICHE DE FORTS DÉSÉQUILIBRES
Les éditeurs constatent un effet de ciseaux entre les titres qui marchent et le reste d’une production abondante qui décroche très vite au niveau des ventes.
En 2013, le poids économique des best-sellers s’est fortement renforcé. Si Hachette Livre a conservé sa position de leader, c’est grâce au succès en littérature générale de la trilogie Cinquante nuances de Grey,d’E. L James, d’Inferno, de Dan Brown, publié chez JC Lattès, et d’Astérix chez les Pictes(Editions Albert-René). Ces cinq titres occupent les cinq premières places des ventes.
Le top 10 a totalisé 6,2 millions de volumes vendus en 2013, contre 4,3 millions en 2012 et 5,7 millions en 2011. Sur les 600 000 références disponibles en librairie, les 2 000 premiers titres font le quart du marché, selon les données de GFK.
En 2013, les éditions JC Lattès, dirigées par Isabelle et Laurent Laffont, ont eu un chiffre d’affaires équivalent à celui de Fayard, Grasset et Stock réunis, les trois autres maisons de littérature d’Hachette.
Albin Michel, éditeur du Goncourt 2013 Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre, et du succès surprise de Frédéric Saldmann, Le Meilleur Médicament, c’est vous !, a aussi fait une excellente année, avec un chiffre d’affaires en progression de 15 %.
En revanche, les groupes Editis (Robert Laffont, Nathan, Plon, etc.) et Madrigall (Gallimard et Flammarion) ont souffert en 2013. Le premier n’a pu compter que sur les bonnes ventes de Guillaume Musso, le second a pâti d’une absence de titres porteurs.
Des petits éditeurs ont aussi su tirer leur épingle du jeu, grâce à leurs best-sellers. Dominique Gautier des éditions du Dilettante place deux auteurs dans le top 20 deL’Express, avec Anna Gavalda pour Billie et Romain Puértolas, auteur deL’Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea.
De même, l’été 2013 a consacré les Editions Guérin, installées à Chamonix (Haute-Savoie) et spécialistes des livres de montagne, et les éditions des Equateurs, dirigées par Olivier Frébourg. Les premières, en publiant Immortelle randonnée, le récit de Jean-Christophe Ruffin sur les routes de Compostelle, prennent le chemin des 300 000 exemplaires vendus. Les secondes, avec Un été avec Montaigne, d’Antoine Compagnon, ont atteint 150 000 exemplaires.
Ce sont les ventes moyennes qui souffrent le plus. Les romans qui se vendaient à 30 000 exemplaires il y a quinze ans font moitié moins aujourd’hui, les ventes des essais qui tournaient autour de 10 000 sont divisées par trois.
LES PETITS ÉDITEURS JOUENT LA CARTE D’INTERNET ET DES RÉSEAUX SOCIAUX
Le phénomène le plus remarquable sur la période récente est le boom de la petite édition. Jamais, depuis trois ans, autant de petites maisons ne se sont créées, signe d’un renouveau de l’offre éditoriale. Cette tendance est plus riche de promesses littéraires que l’autoédition.
A chaque période de mutation économique et de changement de modèle correspond une nouvelle vague de création. Au début des années 2000, des éditeurs comme Sabine Wespieser, Héloïse d’Ormesson, Au Diable Vauvert, Les Arènes, L’Iconoclaste, etc. se sont lancés, bénéficiant des atouts liés à Internet.
A cette génération succède aujourd’hui celle des éditeurs qui s’appuient notamment sur les réseaux sociaux. Internet a permis d’exister en raccourcissant les délais, en facilitant les échanges de manuscrit et les contacts avec les éditeurs et agents étrangers, rendant leur travail plus visible.
Cette deuxième vague, qui recouvre la première, apparaît aussi comme plus artisanale. Pour créer une maison, la mise de départ n’est pas élevée. Elle peutvarier de 50 000 à 500 000 euros.
Parmi ces nouveaux éditeurs, on trouve de tout. De toutes petites structures: Les éditions Moires, Mauconduit, du Trésor, Dehors, Le Tripode, La Grande Ourse, Charleston, Daphnis et Chloé. D’autres sont à peine plus grosses : Guillaume Allary éditions, Le Bruit du temps, Ring, Thierry Marchaisse, Pierre-Guillaume de Roux, Rue de Sèvres, Kero.
Certaines fonctionnent en réseau, comme Monsieur Toussaint Louverture, Le Nouvel Attila, Plein Jour. Plusieurs font reposer leur modèle économique sur la publication de livres et de revues : les Editions du Sous-sol, La Tengo Edition, Inculte, ou Books Editions, qui a aussi accueilli Les Moutons noirs comme collection.
LES NOUVEAUX ACTEURS SOIGNENT L’ÉDITION ET LA DISTRIBUTION
Ces nouveaux éditeurs ont pour caractéristique de publier peu. Ils soignent aussi leur ligne éditoriale. Et, face à la montée en puissance du numérique, misent sur le livre comme objet de désir.
Pour exister, ces petits éditeurs développent une double stratégie. Ils privilégient la relation avec les libraires plutôt que celle avec la presse. Ils suivent avec attention la diffusion qui demeure l’autre nerf de la guerre.
Leur poids économique demeure très faible même si, à leur échelle, ils réalisent parfois de belles performances. Dominique Bordes, responsable de Monsieur Toussaint Louverture, a dépassé 50 000 exemplaires, avec Karoo, d’un auteur serbo-américain défunt, Steve Tesich. « Je n’aurai fait un best-seller que lorsque j’aurai atteint 100 000 exemplaires vendus », précise-t-il.
Depuis son lancement en 2011, Monsieur Toussaint Louverture a donné un coup de vieux aux couvertures des livres de littérature étrangère. Chacun de ses livres est un objet. Seul responsable de sa maison, celle-ci est rentable. Sur la quinzaine de livres qu’il a publiés, deux autres de ses titres ont dépassé 25 000 ventes.
Un des modèles est Oliver Gallmeister, dont les éditions centrées sur les écrivains de nature et le polar américain ont pris leur envol. Fondée en 2005, la maison a percé après le succès de Sukkwan Island, de David Vann, prix Médicis étranger 2010 qui a dépassé 130 000 exemplaires.
Editeur depuis dix ans et connu des libraires, Benoît Virot lance en mars Le Nouvel Attila, avec des auteurs contemporains. « J’ai commencé par des auteurs morts, puis des octogénaires et des quinquagénaires, aujourd’hui, je publie des auteurs plus jeunes que moi. » Parmi ces découvertes, à paraître en avril, le romanComment élever votre Volkswagen, de l’auteur américain contemporain Christophe Boucher, est très attendu.
Pour assurer la diffusion de ses livres, il profite d’un accord commercial conclu avec les Editions Anne Carrière, tout comme les éditions Plein Jour, de Florent Georgesco et Sibylle Grimbert. Lui, éditeur, elle, écrivain, ont lancé à l’automne 2013 une maison orientée sur la « narrative non-fiction » (littérature du réel).
Leurs deux premiers titres, Les Petits Blancs, d’Aymeric Patricot, et Avant de disparaître, de Sylvain Pattieu, chronique sur PSA-Aulnay, ont déjà reçu un très bon accueil critique.
Après vingt ans de carrière, Guillaume Allary, 40 ans, a créé sa maison le 1erjanvier. « Je publie les auteurs que j’ai découverts », dit-il. Dans ses bagages, il emmène Riad Sattouf, Charles Pépin, Ollivier Pourriol. L’éditrice Nicole Lattès, qu’il a rencontrée chez Robert Laffont, a accepté de le suivre et lui apporte un livre de Matthieu Ricard pour la rentrée.
Comme premier titre, il a choisi un premier roman, Les Fidélités, de Diane Brasseur, dont 8 000 exemplaires s’étaient vendus avant le passage de l’auteur, le 6 mars, dans « La Grande Librairie », de François Busnel, sur France 5.
Jeune homme pressé de l’édition, Adrien Bosc, 26 ans, a déjà un joli parcours. C’est dans les sous-sols d’Allia, la petite maison de Gérard Berreby, qu’il a fondé, en 201 1, les Editions du… Sous-sol. Celles-ci publient les revues Feuilleton (dix numéros, 5 000 exemplaires) et Desports (trois numéros, 6 000 exemplaires).
Il vient de lancer deux collections, l’une « fiction », l’autre « non-fiction ». Ses deux premiers titres, L’Alphabet de flammes, un roman de Ben Marcus, et Sinatra a un rhume, de Gay Talalese, sont recommandés par beaucoup de libraires.
Il n’y a pas d’âge pour fonder sa maison. Journaliste pendant plus de trente ans, Laurence Santantonios a créé les éditions du Mauconduit, l’année où elle quittait son entreprise. A l’été 2013, elle a publié le texte d’une conférence d’Annie Ernaux,Retour à Yvetot, qui s’est écoulé à plus de 15 000 exemplaires.