« De l’engagement, des livres ancrés dans la réalité mais sans violence, de l’espoir : la mission est réussie pour les Brésiliens. Ce sont ces talents que la France doit encore découvrir. » (Paula Anacaona)
« De l’engagement, des livres ancrés dans la réalité mais sans violence, de l’espoir : la mission est réussie pour les Brésiliens. Ce sont ces talents que la France doit encore découvrir. » (Paula Anacaona)
Tout d’abord la qualité et la créativité des illustrations. En littérature jeunesse, les illustrations sont essentielles et tout aussi importantes que le texte. Le Brésil a des illustrateurs au talent immense, inspirés par les diverses composantes et l’histoire de la société brésilienne : certains comme Mauricio Negro[2] s’inspirent des arts indigènes des populations autochtones, d’autres comme Lucia Hiratsuka[3] de l’art japonais, d’autres comme Fernando Vilela[4] de la xylogravure, d’autres comme André Diniz[5] de l’art africain, d’autres comme Béatrice Tanaka[6] du folklore régional, etc. Les illustrateurs brésiliens, riches du patchwork culturel qui compose leur pays, ont créé leur propre style[7].
Ensuite, la qualité des narrations et des thèmes abordés. La littérature jeunesse brésilienne s’intègre parfaitement dans notre planète mondialisée – citons Les aventures d’Anaïs[8] qui voyage dans le monde et les époques à l’aide de son hamac magique. Mais ce qui m’a particulièrement frappée ces dernières années est l’apparition croissante des minorités ethniques et économiques : afro-brésiliens[9] qui revendiquent fièrement leur couleur de peau et leur histoire, autochtones[10] qui s’enorgueillissent de leur patrimoine culturel, nissei (d’origine japonaise), favelados[11]. Les questions de genre sont également abordées, comme l’homosexualité[12] ou tout simplement le refus d’enfermer les garçons et les filles dans des cases prédéfinies[13]. On parle dorénavant aux enfants de respect de la nature, on réhabilite certains héros de l’histoire – je pense notamment à Zumbi, ou à Maria Bonita[14]. On ne peut que s’en réjouir – car dans un Brésil si divers, la représentation de tous est vitale pour la bonne cohésion nationale.
La littérature jeunesse brésilienne a encore du mal à trouver sa place en France, du fait d’une énorme production nationale, ce dont les Français peuvent s’enorgueillir, et des blockbusters anglo-saxons, qui noyautent les parts de marché restantes et laissent peu de place à la littérature jeunesse d’autres pays.
Pourtant, le Brésil n’est pas en reste : depuis une quinzaine d’années, sa littérature jeunesse connaît une croissance et un renouveau sans précédent. Un dynamisme lié, entre autres, à la hausse de la demande interne, aux commandes de livres des programmes gouvernementaux qui ont considérablement dopé l’industrie, et à une qualité en hausse.
En France, les éditions Anacaona, spécialisées dans la littérature brésilienne, viennent de lancer la collection Anacaona Junior, pour refléter ce dynamisme. À l’heure du repli identitaire, la littérature brésilienne ne pourrait-elle pas constituer pour les petits Français une fenêtre sur le monde, une façon de découvrir les richesses de nos différences ?
Le défi est d’aborder pour un jeune public ces questions. De l’engagement, des livres ancrés dans la réalité mais sans violence, de l’espoir : la mission est réussie pour les Brésiliens. Ce sont ces talents que la France doit encore découvrir.
Par Paula Anacaona, éditrice, traductrice et auteure
[1] Je ne pourrais évidemment pas citer tous les auteurs remarquables brésiliens qui écrivent pour la jeunesse et sont publiés en France (comme Ana Maria Machado, Lygia Bojunga, Angela Lago).
[2] En France, Maria Bonita, une femme parmi les bandits, (éd. A dos d’âne). Et illustration de romans adultes : Vaste Monde et Crépuscules (les deux aux éd. Anacaona).
[3] En France, Les livres de Sayuri (éd. Anacaona), et Jorge Amado, un écrivain sur les terres du cacao (éd. A dos d’âne).
[4] Non-traduit : Lampião e lancelote. En France, illustration de romans adultes : Bernarda Soledade, Tigresse du Sertão et Ombre sévère (éd. Anacaona).
[5] En France, Photo de la favela (éd. Vents d’ailleurs). Illustration de romans adultes : La terre de la grande soif et João Miguel (éd. Anacaona).
[6] En France, aux éditions Kanjil.
[7] Par ex. Roger Mello, en France aux éditions MeMo et Fei.
[8] Editions Bayard Jeunesse.
[9] Par ex. Lazaro Ramos ou Heloisa Pires Lima.
[10] Par ex. Daniel Munduruku ou Ciça Fittipaldi.
[11] Par ex. Ferréz ou Otavio Junior.
[12] Par ex. Marcia Leite.
[13] Par ex. Telma Guimarães Castro Andrade ou Anna Claudia Ramos.
[14] En France, aux éditions A dos d’âne.
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