Le Brésil en toutes lettres. Une émission de Culturesmonde, sur France Culture présentée par Xavier Martinet. Le thème : la diversité du paysage littéraire brésilien.
Avec Bernardo Carvalho (écrivain) ; Anne-Marie Métailié (éditrice) ; M. Léo Tonus (maître de conférences à La Sorbonne). Disponible en cliquant ici.
J’ai écouté avec attention l’émission en podcast… Petit compte-rendu rapide de ce qui s’est dit à cette occasion, pour ceux qui n’auraient pas le temps de l’écouter.
Après une éclipse de plusieurs années, le Brésil revient sur la scène littéraire internationale. Invité d’honneur à la foire du livre de Francfort, de Bogota, de Bologne, de Paris cette année, de Londres en 2016… le Brésil littéraire semble partout. Tour d’horizon.
21 000 nouveautés (32% de romans) au Brésil cette année [En France, si je ne m’abuse, nous sommes à 46 000 nouveautés par an]. L’édition brésilienne est en plein dynamisme ; des grosses maisons d’édition s’attaquent au marché (Planeta, Globo, grosses maisons américaines) + floraison de petites maisons d’édition indépendantes. La diversité éditoriale, régionale, thématique est de mise. On sort enfin de l’axe Rio/São Paulo.
Puis nos deux invités (Mme Métailié et M. Tonus) évoquent la littérature marginale, la littérature « des brèches », manifestation remarquable du paysage littéraire brésilien. Ils évoquent bien sûr Paulo Lins, précurseur, mais aussi les nouveaux auteurs qui ont émergé à sa suite. Ils citent à plusieurs reprises les éditions Anacaona (cooool ! ) remarquées pour les anthologies Je suis favela et Je suis toujours favela. [Citons à cet égard Ferréz et Rodrigo Ciriaco, les plus emblématiques de cette nouvelle génération d’écrivains “de la marge”].
Puis l’écrivain Bernardo Carvalho s’exprime : loin de l’hyper réalisme,
Je refuse d’être considéré comme un documentariste du Brésil.
En 2001, il publie Mongolia, considéré quasiment comme une provocation : Carvalho estime que les écrivains brésiliens ont presque honte s’ils ne cèdent pas au réalisme primaire. Le lecteur étranger ne regarde jamais la littérature du Brésil comme de la littérature – comme s’il fallait toujours que ce soit un documentaire sur la réalité sociale. Comme si, au Brésil, ce n’était jamais de la vraie littérature, c’est toujours quelque chose d’autre… Le lecteur étranger ne veut pas considérer le Brésil comme un pays littéraire.
Bernardo Carvalho, pour lutter contre l’enfermement dans un Brésil pittoresque, a donc décidé de voyager dans ses livres. Mais aujourd’hui le voyage est devenu un cliché ; avant, c’était de l’exotisme, c’était un dépaysagement. Aujourd’hui, voyager est devenu commun – c’est comme rester sur place, tout le monde le fait. Il n’y a plus d’endroit dans le monde où s’échapper géographiquement. Il faut donc trouver d’autres échappatoires…
Jorge Amado a été l’arbre qui a caché la forêt de la production brésilienne.
Autre sujet abordé : pendant longtemps, Amado a été le seul (ou presque) écrivain exporté, le lecteur étranger cherchait donc quelque chose qui ressemble à du Amado – alors que le monde a changé, le Brésil s’est urbanisé, le Brésil d’Amado a disparu…. C’est une situation que Mme Métailié ressent pour l’ensemble de l’Amérique latine. Le lecteur est resté « scotché » sur Garcia Marquez – alors que les écrivains ne peuvent plus écrire de la sorte, ce n’est plus leur monde…
Les invités insistent sur la diversité de la production contemporaine. Premièrement, il y a beaucoup plus d’auteurs qu’avant, et ensuite, il est difficile de trouver une « génération » : la littérature a explosé. Avant c’était plus facile de tomber dans les clichés ; aujourd’hui, elle est clairement trop diverse pour cela.
Puis le débat s’élargit au marché éditorial, et notamment à la politique culturelle du gouvernement brésilien : cette internationalisation de la littérature brésilienne n’a été possible que grâce à l’action du gouvernement, par le biais d’importantes aides publiques. Il était temps que le Brésil se dote d’une vraie politique culturelle. En décembre 2012 sont annoncés 35 millions de dollars de subventions pour le marché du livre. À ce sujet, Mme Métailié nuance sa position : enfin une politique culturelle, certes. Mais elle est un peu sceptique sur la pérennité de cette politique… Comme elle le fait remarquer, “J’ai beaucoup vécu !”
M. Tonus s’interroge très justement : au-delà d’une aide à la publication, serait-il possible d’envisager une aide à l’appui de l’enseignement du portugais pour former des lecteurs ? Il faut penser à la chaîne du livre dans son ensemble, ce qui manque actuellement aux politiques d’aide. Enfin, il évoque le problème de formation des lecteurs, de l’analphabétisme et de l’analphabétisme fonctionnel. Un nouveau « marché » se développe : celui des néolecteurs adultes (des lecteurs adultes qui commencent à s’intéresser à la littérature).
Cette internationalisation du livre brésilien pose d’autres questions : quels sont les critères de choix des écrivains invités au Salon du livre ? Que veut-on exporter, qui veut-on exporter et comment ? Quel pourcentage traversera l’océan pour le Salon du livre ? Les organisateurs, dont M. Tonus fait partie en tant que Conseiller, ont cherché à respecter une diversité culturelle, régionale, de genre, thématique.
Et l’émission se termine par une petite minute de… funk carioca. Oba ! Réécoutez l’émission en cliquant ici.
Rendez-vous au Salon du livre et en mars 2015 pour découvrir, redécouvrir… et tout simplement kiffer la littérature brésilienne ! Viva !