Jeudi 10 octobre, Marcelino Freire et Andréa Del Fuego étaient invités au Salon du livre de Francfort.
Et j’ai été littéralement séduite par le discours de Marcelino, et l’importance de l’oralité chez lui.
Quelques moments choisis :
Marcelino commence par lire sa nouvelle Da Paz [traduction : De la paix ou De Paz, du nom du personnage]. Lire – plutôt déclamer : les nouvelles de Marcelino sont du théâtre. Impossible de les comprendre – et de les traduire, croyez-moi 🙂 sans les lire à voix haute. Car Marcelino revendique son inspiration de la langue orale, son héritage du cordel, des troubadours du Nordeste.
« Cette nouvelle est née d’une commande du quotidien l’Estado de São Paulo, en 2006, qui a demandé à plusieurs écrivains d’écrire sur les attaques du PCC. Le PCC, en mai 2006, a littéralement pris d’assaut la plus grande ville d’Amérique du Sud. Pas d’école, couvre-feu instaurés ces jours-là… une situation complètement insensée. Surréelle. J’ai donc voulu écrire une nouvelle surréelle. Et j’ai pensé à une mère qui aurait perdu son fils ce jour-là, tué par la police. Le conte devait être publié le dimanche, quand avait lieu une manifestation pour la Paix. Mon personnage allait donc s’appeler Paz. Et Paz serait une de ces femmes nordestines, sertanejas, qui parlent beaucoup, vous font des monologues d’une traite. Bien évidemment, l’Estado de São Paulo n’a pas publié mon conte 🙂 Lire le conte en intégralité ici [extrait de Contos Negreiros]
« Pourquoi j’ai décidé d’écrire? Pour laver mes affronts. Car je suis lâche, faible, pépère et que je ne prendrai jamais les armes. Alors c’est comme cela que j’ai décidé de me venger des situations qui m’insupportent. Mes personnages crient, souffrent, sont des largués de la vie, des déphasés. Je crois que notre époque est malade… et mes textes aussi. Certes, certains diront que je ne parle que des pauvres, que des foutus… est-ce que c’est démagogique? Je ne peux pas écrire autrement. Je parle de l’absurde que je vois tous les jours autour de moi. Cela fait 22 ans que j’habite à São Paulo, alors cette ville est omniprésente dans mes écrits. Mais mon sertão natal est là aussi. Mes personnages sont des exilés, des immigrés, comme moi.
« Ma mère était de ces femmes qui parlent sans arrêt, au moindre événement, c’était parti pour une demi-heure. Ce type de parole est très nordestin. Le Nordestin a un côté tragi-comique… Chacun crie plus fort que l’autre. Mes personnages aussi font un bruit de casseroles pour le lecteur, je veux que ma parole gêne leurs oreilles, que ce soit une parole qui insupporte.
Je le reconnais : ma mère parle à travers moi lorsque j’écris. Dans tous mes textes : passés, présents, futurs. Alors quand j’écris, je lis mes textes à voix haute, en les criant, en les récitant à toute vitesse comme une prière. Si quelque chose ne va pas à l’oral, que je bute sur une phrase, je la change. Je viens de finir mon premier roman, que j’ai dédié à mon père : mon père commence à « arriver » en moi. Quand il y a du silence, c’est que mon père est là. Lorsqu’il se passe quelque chose, ma mère « arrive », et elle va en parler une demi-heure pendant que mon père reste silencieux. Et il va clore la conversation en une phrase.
« Depuis 2006, j’organise un festival littéraire à São Paulo, la Balada Literaria, qui dure cinq jours [en général en novembre]. Nous invitons des écrivains brésiliens et étrangers, c’est un super moment. Nous nous sommes inspirés de la FLIP de Paraty [le plus grand salon du livre au Brésil], qui a été la première à inaugurer le concept de fête autour du livre. Mais le problème c’est que la ville de Paraty est très chère… la bière est chère… alors nous avons décidé de faire un festival littéraire à Vila Madalena [quartier de São Paulo] où la bière est moins chère, pour pouvoir faire la fête plus longtemps 🙂 Ce festival, c’est une bataille permanente – à l’image de mon histoire personnelle. On a l’impression qu’on n’y arrivera jamais… et à force de ténacité, les choses finissent par se faire…
Voir la page d’Anacaona sur Marcelino Freire