Je me suis souvent demandé : quand je pratique du yoga, est-ce une appropriation culturelle ? Rodney William ne parle pas précisément du yoga dans son livre L’Appropriation culturelle. Mais il donne un certain nombre de clés qui m’ont permis de réfléchir à ce sujet, notamment une critique contre le capitalisme et les diverses formes d’oppression.
Les échanges culturels ont toujours existé entre les peuples, et Rodney William ne les critique évidemment pas. Mais là où il peut y avoir un problème, c’est que le yoga est devenu une industrie qui génère des milliards – et l’Inde, mère-patrie du yoga dans tout ça ? Elle n’en tire pas grand-chose…
Par ailleurs, les yogis et les professeurs sont de manière disproportionnée des femmes blanches, jeunes, hétéronormées, minces et en bonne santé, de classes aisées… Le yoga m’apparaissait au début comme excluant, quand on est non conforme au modèle de féminité mis en avant – personnes racisées ou aux corps plus gros notamment… L’industrie du yoga participerait ainsi à reproduire l’ensemble des systèmes d’oppression.
En outre, le marketing autour du yoga met l’accent sur l’Inde éternelle, et utilise à des fins commerciales des objets religieux issus de l’hindouisme ou du bouddhisme. On a là les caractéristiques de l’appropriation culturelle. On oublie l’origine, on oublie qu’avant de venir jusqu’à nous, cette pratique du yoga a été systématiquement ridiculisée par le colonisateur britannique au 19e siècle.
Cependant, grâce à l’analyse de Rodney William, j’ai pu avoir un certain nombre de réponses à mes questions – et ainsi changer ma pratique et ma vision du yoga.
Par exemple, j’ai découvert la professeure de yoga Dianne Bondy (@diannebondyyogaofficial), qui s’identifie comme « grosse et noire », et invite à briser les hiérarchies et la compétition dans le yoga. Je crois moi aussi que le yoga peut être un moyen d’autoguérison contre le racisme et le sexisme, un moyen de se sentir bien dans son corps quel qu’il soit ; en bref, un moyen de s’auto-aimer💙.
Reprenons maintenant ce qui définit précisément une appropriation culturelle selon Rodney William (quelques points) :
- L’effacement de l’origine
Prenez l’exemple du Pilates (que j’ai pratiqué moi aussi) : appropriation culturelle totale ! Ce cher Joseph Pilates a copié honteusement un grand nombre de postures de yoga, leur a donné d’autres noms, les a enchaînées différemment, et hop, le tour est joué ! Malgré les différences entre les deux disciplines, il s’agit pour moi clairement d’une appropriation culturelle.
- Le non-respect des caractéristiques originales
Bah, ma photo sur Instagram – moi, faisant l’Arc debout (Dandayamana dhanurasana), au bord d’une mer paradisiaque… pas sûr que ça respecte l’esprit original, j’avoue. Mais c’était pour vous donner envie !!! Sans tomber dans la mystique de l’Inde éternelle, je n’oublie pas d’où vient le yoga, et j’essaie d’apprendre le nom des postures en sanscrit (même si c’est difficile)
- L’absence de droits d’auteur pour les créateurs originaux
Pour ce point-là, je n’arrive pas à trouver de solution. J’essaie dans la mesure du possible de suivre des cours dispensés par des professeurs originaires d’Inde (alors que sur Internet on a majoritairement des professeurs nord-américains ou européens),d’acheter des livres écrits par les grands maîtres indiens plutôt que par une jolie Californienne.
- Le manque de solidarité par rapport aux créateurs originaux
J’essaie de m’intéresser à l’Inde de façon plus globale, à sa politique, à sa culture, au-delà du yoga, pour ne pas faire la pique-assiette, du style « je prends ce qui me plaît chez vous et débrouillez-vous pour le reste ! »
- Méconnaissance de l’histoire et de la symbolique éventuelle
Je me suis surprise moi-même… Et après en avoir discuté avec d’autres yogis, beaucoup d’entre nous qui tombent amoureuses de la discipline finissent par étudier ce qui se cache derrière les simples postures de yoga – et c’est là où on découvre une richesse incroyable… De quoi étudier toute une vie ! La respiration, les chakras, les yamas, et toute une philosophie que l’on peut ensuite appliquer dans notre vie.
En conclusion…
« C’est le cadeau de l’Inde à l’humanité », entends-je souvent. Méfiance malgré tout: Rodney William critique à diverses reprises cet « hommage rendu » (par ex. quand l’industrie de la mode récupère des motifs traditionnels autochtones). N’est-ce pas un privilège des « dominants » que d’être en mesure de dire cela ? Une professeure de yoga (occidentale) qui pratique depuis 40 ans me disait qu’elle s’en fichait que le yoga soit récupéré par l’industrie capitaliste. Car si ne serait-ce qu’1 personne sur 100 venue au yoga par ce même capitalisme s’intéresse au final au « vrai » yoga… alors elle considère que c’est mission réussie.
Je dois avouer que c’est un peu ce qui m’est arrivé. Sans me prendre pour une véritable yogi, j’en vois désormais – avec humilité – toute la richesse et n’ai qu’une envie : que d’autres le découvrent et le pratiquent à leur tour. Ce que je fais avec cet article !😊 Le yoga peut être pratiqué PAR TOUS – corps raides ou souples, corps minces ou non, sportifs ou non, chez soi ou en studio et ne doit pas être l’apanage des classes aisées en mal de bien-être ou de productivité. Avec les cours disponibles gratuitement sur Internet, cela peut même être gratuit. Essayez ! Et pratiquons-le avec respect, sans eurocentrisme, sans reproduire d’oppressions… ni faire d’appropriation culturelle 😉
Retrouvez l’ensemble du dossier sur l’Appropriation culturelle ici.