Alors que les JO de Tokyo se terminent, j’en profite pour vous parler du turban porté avec fierté par Neisi Dajomes et Tamara Salazar, Afro-Equatoriennes, médaillées d’or et d’argent à l’haltérophilie.
Les sportives ont bien insisté : ce ne sont pas de simples accessoires de mode qu’elles portaient sur leurs cheveux (naturels) : ce sont bien des turbans,
« qui pour les femmes afros vont bien au-delà d’une simple mode ou d’un accessoire. Quand une femme afro-descendante porte un turban, elle porte une couronne qui l’unit avec ses autres sœurs et compagnes de lutte, c’est une forme d’appartenance, d’orgueil et d’identité »
a réagi le collectif Afrocomunicaciones.
Rodney William évoque longuement le cas des turbans dans son livre L’Appropriation culturelle
En effet, il y a quelques années au Brésil, le cas d’une femme blanche portant un turban avait enflammé les réseaux sociaux, et placé le débat sur l’appropriation culturelle au cœur de l’actualité.
Le turban a une signification culturelle, esthétique et de classe, propre à l’identité des femmes afro-descendantes, c’est un symbole de résistance et de rééexistence. Pour les femmes noires, le turban et les cheveux naturels sont donc une forme d’affirmation politique.
C’est pour cela que William parle d’appropriation culturelle lorsque des femmes portent un turban sans en connaître l’histoire, l’origine et le contexte.
« Peu de personnes savent par exemple que pendant la période esclavagiste, les femmes noires étaient obligées par la loi de cacher leurs cheveux. Ainsi, plus qu’une habitude culturelle, il s’agit d’un instrument d’oppression qui, une fois resignifié, devient un symbole de résistance. » (p.104)
Je reprend les magnifiques mots d’Ana-Maria Gonçalves, citée par Rodney William :
Vivre dans un turban est une sorte d’appartenance. C’est s’unir à un autre être diasporique qui vit lui aussi dans un turban (…) Pour porter ce turban sur nos têtes, nous avons dû le cacher, le dissimuler, le déguiser, le nier. C’était un abri, mais aussi un symbole de foi, de résistance, d’union. Le turban collectif que nous habitons a été constamment racialisé, déprécié, envahi, dessacralisé, criminalisé (…) Ce qui pour vous peut représenter une simple volonté d’être à la mode, de se projeter comme un être libre et sans préjugés, est pour nous un lieu de connexion. »
Ana Maria Gonçalves, citée p.105 dans l’Appropriation culturelle
« Nous ne cherchons pas à ce que l’utilisation du turban soit réservée aux personnes noires, mais à ce qu’elle soit restreinte à ceux qui en connaissent sa signification. », conclut Rodney William. Lisez la suite de son analyse dans L’Appropriation culturelle et ayez vous aussi les clés pour comprendre ce concept souvent décrié (mais parce que mal compris !) qu’est l’appropriation culturelle.
Les Afro-Equatoriennes discriminées
Pour revenir à l’épisode des sportives afro-équatoriennes, aucun doute que ce « simple » turban aura une incidence sur la société afro-descendante équatorienne (qui représente 7% de la population du pays et est encore fortement discriminée).
L’article de BBC News parle ensuite longuement des discriminations liées aux cheveux afro, et des standards de beauté qui excluent systématiquement la beauté noire, qui m’ont fait penser à ce qu’en dit Joice Berth, dans Empowerment et féminisme noir.
La députée Paola Cabezas (seule femme Afro-Equatorienne à l’Assemblée) a aussitôt tweeté la réaction de sa nièce à la suite de cette victoire : « Tatie, la championne a les mêmes cheveux que nous ».
On sait qu’encore aujourd’hui, en Equateur, au Brésil, et ailleurs, des femmes noires ne peuvent pas travailler avec leurs cheveux naturels – considérés anti-esthétiques, sales, synonymes de pauvreté – ou au contraire de fête et de carnaval, et donc peu professionnels. Pour la députée, cela va plus loin qu’une question esthétique, c’est une discrimination systémique : « Le système exclut les personnes noires, les pousse vers des secteurs où il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, pas de moyens de transport. Les femmes afro-équatoriennes doivent vivre dans des secteurs urbains marginalisés. » En conséquence, il est encore rare de voir dans les médias des femmes noires avec leurs cheveux naturels – d’où la réaction surprise de la nièce de la députée.
Je vous recommande la suite de l’article sur les conditions des Afro-Equatoriennes (qui se rapproche beaucoup de ce que peuvent vivre les Afro-Brésiliennes) ici : (en espagnol) https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-58095539
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