La journaliste Laura Raïm s’interroge sur l’articulation entre universalisme et identité. Ces deux notions sont-elles inconciliables ? Comment penser le commun au-delà des différences de race et de sexe ? Comment préserver l’unité de la République face à la mise en avant d’identités singulières?
Les perspectives qu’offre Yala Kisukidi sur l’universel et la négritude permettent de dépasser l’opposition qui est habituellement mise en scène entre “universalistes” et “identitaires“. Le débat sur l’identité est difficile, parce que le mot identité comme tel est toujours mobilisé sans que l’on sache véritablement de quoi on parle, reconnaît la philosophe. Kisukidi s’oppose au discours qui veut que penser l’identité viendrait mettre en péril le pacte républicain et apporterait la ruine de la République.
Puis Yala Kisukidi précise un point important : tous les penseurs de la négritude sont des penseurs de l’universalisme. Elle explique que Senghor, lorsqu’il affirme sa négritude, affirme le fait que les mondes noirs ont également contribué à l’universel. Quand Senghor ou Césaire affirment leur identité noire, ce n’est pas un séparatisme , ce n’est pas une identité qui se compose de façon meurtrière, c’est une manière de dire : « Nous aussi, ce que nous sommes, nous avons contribué à l’humanité et à la richesse de l’humanité.» C’est l’universalisme des différences : toutes les différences ont contribué à l’humanité.
Au-delà de cette thèse, on retrouve l’idée de métissage – à savoir que dans la rencontre avec l’autre, nous sommes altérés par l’autre. L’humanité est toujours en train de se nourrir de l’autre et change également. L’idée de négritude porte donc à la fois l’affirmation de la différence qui est nécessaire à l’énonciation de l’universel, et l’idée que nous sommes toujours altérés et en pleine transformation de nous mêmes au contact avec l’autre.
Aujourd’hui, dans les débats, on a tendance à dire « vous ne pouvez pas vous affirmer comme Noir et être universaliste en même temps. » La négritude, en partant de la position subjective noire, offre une nouvelle possibilité d’universalisme, qui démonte et dénonce les faux universels.
Puis Kisukidi fait référence à Edward Saïd, penseur post-colonial fondamental, qui s’interroge sur la fabrication occidentale des “Autres”. L’autre oriental, l’autre africain… La colonisation a produit des humanités récusées, tous les sujets colonisés ne sont pas intégrés à cette grande famille de l’humanité. Donc, une des critiques fortes de l’universalisme dans les pensées post-coloniales consiste à dire que l’universalisme n’est pas un véritable universalisme, mais un particularisme déguisé qui consiste à dire que “moi, le particulier Européen, je porte la visée universelle pour le monde entier, donc je peux imposer ma manière de voir le monde au reste de l’humanité. »
Enfin, Yala Kisukidi évoque la notion de désobéissance épistémique (❤️), conceptualisée par Walter Mignolo : une désobéissance dans le champ du savoir, pour nous défaire d’un ensemble d’auteurs et avoir le courage de s’ orienter vers d’autre types de connaissances qui ont souvent été niées et dévalorisées. A partir d’elles, une autre configuration du monde, une autre manière de penser le monde, est possible.
La journaliste Laura Raïm conclut : L’affirmation de l’identité n’est pas quelque chose de nécessairement fermé ou racialisant ou de séparatiste. Les critiques non-blanches de l’universalisme ne visent donc pas l’idée d’universel en tant qu’idéal d’égale liberté pour tous, mais un certain républicanisme dévoyé qui enjoint à l’assimilation et invisibilise les inégalités réelles.
Il ne s’agit donc pas de choisir son camp entre l’universalisme d’un côté, et le particularisme de l’autre, mais entre un faux universel occidental, et un universel ouvert aux singularités.
Pour continuer la réflexion sur ce sujet et d’autres thèmes… Retrouvez Yala Kisukidi dans une conversation à deux voix avec Djamila Ribeiro :
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Bonjour,
que pensez-vous de la position de Glissant ou Depestre sur cette question ?
Bien à vous