Retour sur un épisode historique méconnu de l’histoire brésilienne : la guérilla de l’Araguaia
Ce week-end, j’ai dévoré le roman de Guiomar de Grammont, Les ombres de l’Araguaia. L’auteure évoque l’histoire de Sofia, dont le frère militant politique a disparu pendant la dictature, et plus précisément lors de la guérilla de l’Araguaia. Alors qu’une brume enveloppe depuis des années cette disparition, la réception d’un journal de bord de guérilleros déclenche l’enquête de Sofia. Même si rechercher la vérité fait mal, Sofia réalise qu’elle ne pourra trouver la paix intérieure sans.
Je ne raconterai pas l’histoire du roman (dont vous trouverez un résumé ici), qui est captivante. On accompagne Sofia de Cuba à Brasilia en passant par la jungle amazonienne, avec beaucoup d’émotion.
J’en profite ici plutôt pour faire un retour sur cet épisode historique méconnu de l’histoire brésilienne – qui recoupe les thèmes de notre polar Révolution au Mirandão, qui évoque ce passé guérillero du Brésil.
Un épisode dramatique de la dictature
La guérilla de l’Araguaia a eu lieu dans la région amazonienne, au bord du fleuve Araguaia, dans une zone d’environ 6500 kms2 entre 1967-68 et 1974. Les guérilleros, affiliés au parti Communiste, voulaient reproduire le modèle cubain et déclencher une révolution socialiste à partir de la base paysanne amazonienne. Au départ seulement une dizaine – ex-étudiants de classe moyenne et professions libérales – ils se mêlent à la population en donnant des classes d’alphabétisation, des médicaments contre le paludisme, etc. Leur groupe croît jusqu’à atteindre 80 personnes au maximum au début des années 1970. Mais malgré toute leur volonté de se fondre dans le paysage, ils détonnent.
Les paysans restent méfiants, contrairement à Cuba, et n’adhèrent pas massivement au mouvement, comme les guérilleros l’espéraient.
Gardée secrète pendant plusieurs années, l’armée apprend – à la suite d’une trahison, de tortures ? – l’existence de ce camp guérillero et intervient à partir de 1972. Au début mal préparée, elle engage de force les paysans du coin comme guides, les seuls capables de se repérer dans cette jungle aux arbres multicentenaires et au climat hostile pour l’homme qui ne sait pas la respecter.
L’armée se lance ensuite dans une offensive disproportionnée (plusieurs milliers de soldats) à partir de Noël 1973. C’est la Terreur. Les paysans du coin sont pris en étau entre les militaires et les guérilleros, qui savent se montrer violents eux aussi. Et c’est sans compter les propriétaires terriens qui s’accaparent les terres, les orpailleurs, les défricheurs de forêts… Bref, les caboclos comme on les appelle, risquent leur vie quel que soit le camp choisi.
Venus pour les « sauver », les guérilleros ont fait s’abattre sur leur région une vague de violence sans précédent. Les militaires, pour décourager les paysans de soutenir les guérilleros, utilisent des techniques d’intimidation : corps pendus aux arbres, têtes et mains coupées, etc.
En 1974, les guérilleros, désorganisés, ne sont plus que l’ombre d’une organisation. Ils errent dans la forêt, affamés, malades. C’est la déroute. La rébellion est définitivement écrasée en milieu d’année 1974
Seule une vingtaine de combattants ont survécu (parmi eux, le futur président du Parti des travailleurs, José Genoino), mais pour beaucoup d’autres, les corps n’ont pas été retrouvés (car brûlés et dispersés), et ils sont donc considérés comme disparus politiques.
À l’époque, du fait de la censure, très peu de gens ont appris l’existence de cet épisode. D’autant plus que les militaires lors d’une Opération nettoyage (1975), ont nettoyé toutes leurs traces (documents brûlés, campements démontés, corps retirés des tombes et brûlés). Cette Opération nettoyage dans la Serra das Andorinhas a également visé les habitants du coin qui avaient été en contact avec les guérilleros. Bien des années plus tard, des militaires se faisaient encore passer pour des parents des victimes afin de taire les plus bavards, et retrouver des corps ou des os et les dissoudre dans l’acide, ou les jeter dans les fleuves de la région. Ce n’est qu’à partir de la redémocratisation du pays que quelques détails sur cette guérilla commencent à être révélés.
Officiellement, même encore aujourd’hui, l’armée n’a jamais levé le silence sur la lutte de l’Araguaia, et le sujet reste bel et bien tabou.
Pourtant, dès les années 1980, les familles des victimes ont tenté d’avoir des explications, pour faire leur deuil – en vain. Les associations de familles de disparus ont aujourd’hui recours à la justice pour ordonner la levée du secret militaire – mais la Loi d’amnistie rend difficile ces recherches.
En 2014, l’ex colonel Paulo Malhães, un des principaux militaires impliqués dans la lutte contre les « subversifs », a témoigné devant la Commission nationale de la vérité sur les méthodes utilisées contre les guérilleros de l’Araguaia. Mais il est une exception. Le Groupe de travail Araguaia, créé dans le cadre de la Commission nationale de la vérité pour enquêter sur les violations des droits humains par des agents de l’Etat, continue à enquêter. Il devait rendre les conclusions de son enquête en 2014, mais a demandé un délai supplémentaire.
Il y a un musée de la guérilla d’Araguaia à São Geraldo do Araguaia, Para. Une initiative louable. Mais d’après les commentaires, le musée semble abandonné…
Guiomar de Grammont sera le 10 octobre à la librairie brésilienne, 21 rue des Fossés St Jacques, 75005 Paris, à 19h30, pour présenter son roman Les ombres de l’Araguaia.