01.02.12 | 12h52
Lire ici l’intégralité de l’article sur le Monde.fr
C’est une favela anonyme de la zone nord. Un coin perdu de Rio de Janeiro tenu par les narcos. Passé les postes de contrôle flanqués au pied de la colline, le flot humain de jeunes filles en jupe serrée et de garçons rieurs annonce une nuit fauve aux rythmes fiévreux. Le terre-plein surplombant le décor sert de piste de danse, déjà remplie aux décibels d’un funk carioca à faire saigner les tympans.
Fabiano Atanázio da Silva, alias « FB », arrive par une ruelle escarpée, la silhouette souple, le port altier et les cheveux au vent façon Che Guevara. La foule s’écarte. On le salue. Il sourit. L’homme est suivi de quatre ou cinq gardes du corps surarmés et de son jeune porteur de bouteille de whisky, version cinq litres pour les amis, nombreux en ces soirées de fête. Mais toujours moins nombreux que ses ennemis.
La scène remonte à quelques semaines, peu avant son arrestation par la police, le soir du 27 janvier, à Campos, dans l’Etat de Sao Paulo. « FB » était le narcotrafiquant le plus recherché de Rio. Un des « grands barons de la drogue », selon les médias. A peine 35 ans et déjà une figure épique du commando rouge, le fameux commando Vermelho aux initiales « CV » taguées sur les murs, la plus ancienne et puissante faction du trafic de drogue qui détient encore quelque 300 favelas et quartiers de la mégapole. Avec près de 40 % du marché local des stupéfiants, malgré l’avancée vertigineuse des milices paramilitaires et de la pacification des favelas des beaux quartiers en vue de la Coupe du monde et des Jeux olympiques.
« FB », deux initiales qui claquent au sommet de la hiérarchie des narcotrafiquants. L’image d’un caïd à l’aura particulière. Sa légende et ses faits d’armes. On raconte qu’il lançait des billets de banque en l’air lorsqu’il entendait le générique du jeu télévisé « Qui veut gagner des millions » remixé par les DJ locaux. Qu’il avait des liens avec le joueur de football Adriano. En août, il aurait kidnappé un groupe de Chinois. Surtout, il était tenu pour responsable des tirs qui ont abattu un hélicoptère de la police militaire de Rio en octobre 2009, au cours d’une opération dans la favela Morro dos Macacos, la « colline des singes », qui s’était soldée par dix-sept morts, dont les trois occupants de la machine. Un épisode dans la guerre contre les gangs qui « restera comme notre 11-Septembre » avait alors affirmé José Mariano Beltrame, le secrétaire d’Etat à la sécurité de Rio.
Voilà donc « FB » dans le rôle d’ennemi public national. Le Ben Laden carioca. Exhibé aujourd’hui en « une » des quotidiens. La police avait offert 10 000 reals – près de 6 000 dollars – pour toute information le concernant. La plus forte somme placée sur la tête d’un chef de gang.
Depuis sa capture, les charges se multiplient. Dans l’attente de son transfert dans un pénitencier de Rio, Fabiano Atanázio da Silva est d’ores et déjà inculpé d’homicides, de trafic de drogue, d’association de malfaiteurs, de séquestration et d’extorsion. Il devra encore répondre aux délits d’assaut à main armée ou de port d’armes prohibées.
Les paroles d’une chanson dédiée à « FB » et scandée par le funkeiro MC Smith disaient : « Nous vivons notre vie de bandit, notre jeu est brutal. Aujourd’hui on fait la fête, demain nous serons en deuil. »
Pas sûr qu’il s’en remette. Dans le morceau, il est décrit comme quelqu’un qui voulait briller, aimant l’argent et les grosses cylindrées. Aux policiers, il dira lors de son arrestation que « tout le monde souhaite avoir une belle vie, même ceux qui vivent dans une favela ».
Fabiano Atanázio da Silva est né dans un des innombrables quartiers pauvres et miséreux du nord de Rio. Son père y vit encore. Adolescent, celui qui se faisait appeler « Urubu », « FM », ou « Thuthuco » côtoie très tôt les bals funk qui rassemblent entre 500 000 et un million de jeunes Cariocas chaque fin de semaine. « La musique des exclus parmi les exclus », dira l’écrivain et anthropologiste reconnu Hermano Vianna.
Comme le suggère la chanson, le jeune Fabiano en veut plus. Il se fait remarquer, vend de la drogue, gravit les échelons du commando Vermelho installé en force dans ces quartiers de la ville. Il y voit un moyen d’ascension sociale, une lutte aussi contre la violence et les carences de l’Etat. En 2000, à 24 ans, « FB » devient le chef du trafic au Morro do Urubu – la « colline des vautours ». Il perdra son fief après une guerre déclenchée par une faction rivale. Trois ans de combats et d’atrocités seront nécessaires pour qu’il récupère son territoire. Avant de le perdre à nouveau après l’intervention du BOPE, le bataillon de choc de la police militaire. Qu’importe, « FB » récupère une partie du complexo da Penha et du gigantesque complexo d’Alemao, un ensemble ininterrompu d’une douzaine de favelas. Les militaires l’occupent désormais depuis un an.
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Nicolas Bourcier
Article paru dans l’édition du Monde du 02.02.12
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