On commence l’année avec un thème qui me tient à coeur : l’écoféminisme décolonial ! D’ailleurs, j’en ai fait un thème important dans le roman Solitude la flamboyante. Voyons tout d’abord ce qu’est l’écoféminisme.
Contrairement à une idée (parfois) répandue, l’écoféminisme ne signifie pas que la femme, supposément plus douce, respecterait davantage la nature. Ou que l’écologie serait une affaire de femmes. Ou qu’il y aurait une nature féminine par essence – plus douce et respectueuse de l’environnement. Non. L’écoféminisme pointe les ressemblances entre les violences faites aux femmes et les violences faites à la nature. Il dénonce l’organisation sexiste de la société et la destruction de l’environnement, qui vont ensemble.
Pour l’écoféminisme, le capitalisme (colonial, puis industriel) a basé toute son idéologie sur 2 axes : l’exploitation à outrance des ressources naturelles (ou extractivisme), et la hiérarchisation entre les humains et la nature. Et au sein des humains, entre les hommes et les femmes. Et au sein de la nature, entre les animaux de compagnie que l’on bichonne (chiens) et les autres, soumis à des conditions de vie ignobles. L’écoféminisme se distingue du féminisme “matérialiste”, qui ne cherche que l’égalité matérielle entre hommes et femmes. Il est décolonial, intersectionnel, et est un projet politique de “réenchantement du monde” (J. Burgart-Goutal).
Le concept du « bien vivre » mis en avant par les écoféministes d’Amérique du Sud est une alternative au développement capitaliste centré sur la division entre humanité et nature. Le bien vivre ne cherche pas à réformer l’idée traditionnelle du développement, ce n’est pas « vivre mieux », c’est « bien vivre ». C’est le droit à la dignité, à la subsistance et à un environnement sain, pour tous – et non pour une minorité. C’est doter la nature et tous les êtres vivants (animaux compris) de droits.
Solitude, cette héroïne de Guadeloupe du 18e siècle dont j’ai écrit l’histoire, a vécu dans sa chair cette exploitation à outrance capitaliste et coloniale. D’abord son propre corps a été exploité – puisqu’il ne lui appartenait pas, qu’elle était un « bien meuble ». Et elle a vu aussi de près l’exploitation de la nature des îles des Caraïbes – transformées en immenses champs de canne à sucre, une monoculture dévastatrice pour la diversité de l’île…
Solitude a constaté, amèrement, que son exploitation ne profitait qu’à une minorité – aux maîtres sur place, bien sûr – mais aussi aux Français de métropole qui, grâce à l’argent des Colonies, pouvaient philosopher dans les salons des Lumières, et devenir, eux, citoyens. L’exploitation des esclavagisés a permis aux Français de devenir citoyens, d’avoir des droits, de faire la révolution de 1789 et de proclamer la Déclaration des droits de l’homme : “tous les hommes naissent libres et égaux.“.. Tous les hommes ? Non, une partie de l’humanité est exclue.
« Nous proclamâmes notre propre Déclaration des droits de la femme et de l’homme, bien plus généreuse que celle de 1789. Elle était composée d’un seul et unique article : « La terre est un paradis pour tous. Toutes les femmes tous les hommes, et tous les êtres non-humains ont le droit d’y vivre dignement. »
Solitude a donc cherché à recomposer le monde dans lequel elle vivait – et c’est pour cela que je l’adore ❤️. Solitude, déçue par la Révolution de 1789, décide de fonder une communauté autonome, qu’elle et ses sœurs appellent Bi, qui signifie en langue taïno Commencement, ou Vivre. Logiquement, la communauté qu’elle et ses camarades créent est axée sur le bien-vivre dont je viens de parler :
« Bi, communauté qui avait repensé les hiérarchies traditionnelles. Les colons avaient créé une société folle, inégalitaire, pyramidale, basée sur l’exploitation de la majorité pour la jouissance d’une minorité. C’était du délire d’avoir ainsi des possédants et des dépossédés, des oppresseurs et des opprimés ! Toutes nos décisions étaient prises de manière coopérative, en fonction d’un seul objectif : le bien commun. »
Solitude casse donc les frontières entre nature et culture en la dotant de droits. Je me suis inspirée de la cosmovision et des modes d’organisation des sociétés traditionnelles amérindiennes, des Caraïbes ou d’Amérique du Sud, pour créer cette communauté d’entraide, organisée pour répondre aux besoins de tous ses membres, et où la terre appartient à tous pour le bénéfice de tous. La communauté de Bi fondée par Solitude et ses camarades les libèrent de toutes les violences de la société plantationnaire – contre leurs corps et contre la nature. Ils/elles retrouvent enfin une vie humaine – après des générations d’exploitation, c’est une révolution (une vraie, pour le coup :-)) .
« Je crois pouvoir affirmer que notre communauté de Bi était, véritablement, humaniste.»
Voilà la Solitude que j’ai imaginée : de par son histoire et son vécu, elle était nécessairement décoloniale, féministe, écologique, et donc écoféministe. Et précurseure 🔥
« L’articulation entre agroécologie et féminismes à partir d’une perspective décoloniale peut nous aider à construire une politique du commun et du bien vivre qui, en retirant l’homme du centre, nous permet de construire une humanité dans d’autres termes, ou une planète commune avec tous ses habitants, de toutes les espèces. »
Maria da Graça Costa, écoféministe brésilienne
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