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De l’esclave à l’esclavisé

Le langage évolue… Plutôt que de parler d’esclave, on parle désormais d’esclavisé.

Est-ce du politiquement correct ? Un débat dérisoire ? Non, c’est une évolution fondamentale.

Selon l’anthropologue brésilien-congolais Kabengele Munanga,

l’existence du dénommé « esclave » n’est pas une raison pour accepter l’esclavage. En toutes circonstances, l’esclavage est une institution déshumanisante et doit être condamnée. L’homme naît libre jusqu’à ce que quelqu’un le réduise en esclavage, l’esclavise. Le concept est donc faux. Le concept correct est « esclavisé » et non « esclave ». Il n’existe pas de catégorie d’esclave naturel. Néanmoins, ce concept s’est enraciné dans la littérature…

K. Munanga, dans une interview en 2010 au site pambazuka.org

Aujourd’hui, plutôt que d’utiliser le mot esclave, les historiens et une partie de la société civile utilisent le terme esclavisé, justement pour démontrer ce processus de chosification auquel l’individu était soumis depuis son départ forcé d’Afrique jusqu’à son arrivée dans les Amériques. Il n’était pas esclave. Il était esclavisé.

Utiliser le nom “Esclave” voudrait dire que l’on est esclave par naissance : on est né esclave et on le sera toujours. Parler d’esclave scelle les Africains concernés et leurs descendants dans une identité permanente. En utilisant l’adjectif “esclavisé”, on insiste sur le fait que l’individu l’est devenu – mais il ne l’est pas intrinsèquement. Ainsi, nous garantissons à ces personnes une identité – et ne les réduisons pas à la propriété qu’ils étaient à l’époque, à la position qu’ils occupaient.

Nous connaissons tous le pouvoir des mots – qui peuvent faire mal comme des coups. Utilisons-les pour honorer les personnes, plutôt que pour perpétuer des idées qui nous blessent tous. Faites l’effort – bien sûr, au début il faut se corriger… mais ensuite cela viendra naturellement 🙂 De la même façon que nous n’utilisons plus certains termes aujourd’hui considérés comme injurieux pour se référer aux homosexuels, aux femmes, etc., faisons la même chose pour parler des… esclavisés.

Les Américains ne parlent plus de slaves mais d’enslaved, les Brésiliens ne parlent plus d’escravo mais d’escravizado… À nous de suivre le mouvement!

PS : Je m’étais posée la question pour le titre du livre “Dandara et les esclaves libres“… Mais en France, le terme “esclavisé” est encore réservé à un certain milieu, militants et/ou universitaires… J’en avais discuté avec Jarid Arraes, l’auteure du livre. Nous avions décidé que l’association de ces deux mots “esclaves” et “libres”, ainsi que l’illustration de la couverture, montraient bien qu’il était possible de se défaire de cette condition, ou en tout cas de lutter contre, et qu’elle n’était donc pas “intrinsèque”…

PS 2 : Ce petit billet, posté à l’origine sur les réseaux sociaux, a déclenché pas mal de réactions. Tant mieux ! Il y a bien eu des commentaires du genre “C’est débile/ridicule”. Forcément, quand on questionne les rapports de pouvoir, et le récit officiel de l’Histoire, ça gêne certains. Qu’ils restent avec leurs certitudes et leur pensée sclérosée. Mais j’ai eu aussi beaucoup de commentaires très pertinents : esclaviser ou esclavagiser ? Ou même, comme le fait remarquer le commentaire ci-dessous, “esclavager“? Le débat reste ouvert… et a le mérite d’exister ! Pour ma part, je continue à préférer esclaviser… Et vous ? 🙂

Paula

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  • Le verbe "esclavager", bien que rare, existe dans la langue française depuis 1876 (petite recherche toute bête dans Le Robert). On entend aussi parfois "esclavagiser", mais il n'est pas cité par tous les dictionnaires. Le langage a déjà évolué, et c'est tant mieux… :-)

  • Je me reconnais complètement dans ce nouveau concept. Pas de determinisme, mais du pouvoir d'agir.

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