Et la diversité dans la littérature jeunesse ?
La sortie de Tonton Couture est l’occasion pour moi de m’arrêter sur la diversité dans la littérature jeunesse. Il faut le reconnaître : dans notre littérature jeunesse, les personnages sont majoritairement blancs – et les personnages noirs relativement invisibles. Alors, outre le message social et écologique de Tonton Couture, je crois que c’est aussi ce qui m’a séduit dans cette histoire de “Noirs ordinaires”. Publier ce livre est ma façon d’apporter un peu plus de diversité, à l’image de notre société… Car les livres pour enfants permettent la transmission de valeurs et normes fondamentales pour le savoir-vivre ensemble. Ils sont une porte vers d’autres cultures, d’autres histoires. Ils influent sur le développement, donnent une ouverture d’esprit, à partir de laquelle se construire. Plus l’enfant se sentira représenté, mieux il pourra se situer dans la société.
Mais force est de constater que les livres jeunesse perpétuent parfois les stéréotypes de genre, de classe, ou peuvent même, sans le vouloir, maintenir un imaginaire social raciste. En outre,
l’absence ou la présence sous une forme infériorisée des Noirs dans la littérature a des effets négatifs sur les Noirs (sous-estime de soi), mais aussi sur les Blancs (idéologie inconsciente de la supériorité de leur culture, standardisation esthétique blanche du monde occidental), et contribue à la persistance d’un ordre social inégalitaire.
Il est temps que la littérature jeunesse soit davantage sensible aux différences, objets de richesse dans nos pays, le Brésil et la France, de plus en plus pluriethniques.
Lutter contre les discriminations de genre, mais pas de race ?
On critique beaucoup en ce moment la façon dont les livres jeunesse peuvent renforcer les stéréotypes de genre, avec les soi-disants “livres pour les filles” (girly à souhait, roses, avec des princesses et des froufrous) et les “livres pour garçons”, remplis de super-héros, de monstres. En effet, c’est une erreur de croire que les livres qui ont des femmes comme héroïnes sont réservés aux filles. Rien n’empêche qu’un garçon s’y intéresse aussi ! À ce sujet, les mentalités changent, et je trouve cette remise en question importante et nécessaire. Mais j’aimerais qu’on s’intéresse aussi un peu à la diversité – en d’autres termes, à la couleur de peau.
Pourquoi aussi peu de personnages noirs dans la littérature jeunesse ? Les grandes maisons d’édition traditionnelles sont frileuses à ce sujet. La journaliste Emeline Amétis, dans son article publié sur Slate ici, rapporte : “D’ailleurs même quand les maisons d’édition ont l’occasion de mettre en avant une certaine diversité, elles s’y refusent : lorsque Andrea Beaty, auteure américaine pour enfants, publie le livre Ada Twist, scientist, dans lequel l’héroïne est une petite fille noire, c’est le seul livre d’une collection de trois, qui n’est pas traduit en français. Et ce malgré les records de vente aux Etats-Unis : de toute l’année 2016, on n’a vu de livre pour enfants vendu aussi rapidement. Les deux autres, Rosie, l’ingénieure et Iggy Peck, l’architecte racontent les histoires d’enfants blancs. Ceux là sont traduits par la maison d’édition Sarbacane. Contactée par nos soins, la directrice éditoriale de Sarbacane, Emmanuelle Beulque, a confirmé qu’une traduction d’Ada Twist, scientist n’est pas prévue pour des raisons «confidentielles».” Aaaaah ! De quoi faire bondir !!! Heureusement que les petits éditeurs indépendants comme votre humble Anacaona sont là… 🙂
Alors, un enfant Noir occidental devrait en permanence se reconnaître dans l’histoire d’un enfant Blanc – mais ce même enfant Blanc ne pourrait pas se reconnaître dans les aventures d’un héros Noir ? Quand ça ne marche que dans un sens, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche… L’auteure Laura Nsafou affirme : Faute de personnages divers, «on nous a habitués, en tant qu’enfants non-blancs, à concevoir l’universel avec des personnages blancs».
Allez, on termine sur cette jolie phrase de Mandela…
Personne ne naît en détestant une personne à cause de la couleur de sa peau, de son origine, de sa religion. Les personnes doivent apprendre à se détester, et si elles peuvent apprendre à détester, on pourrait aussi leur apprendre à aimer. L’amour envahit plus naturellement le coeur humain que son contraire…” (Nelson Mandela)
Voir aussi – En français : l’article de Slate. En portugais, l’article de Nexo Jornal.