Au Brésil, le logement social n’existe pas. C’est un peu différent de ce qui se passe en France : il n’y a pas d’accès à la location, c’est directement un accès à la propriété. On est tout juste en train de parler, dans la campagne électorale actuelle, de la possibilité d’accéder à la propriété en payant une forme de loyer. Il s’agit donc bien d’un déficit de l’État, et aussi et surtout de gens qui ont envie de s’en sortir. Dans ce chantier, ce sont uniquement des gens qui habitent sur des zones à risque (inondations, glissements de terrains). (Elsa Deshors)
Voici quelques extraits de cette interview publiée sur le site de Médiapart :
Adeline Bourdillat : Comment est né le projet de votre film ? Qu’est-ce qui vous a amenée à la Rocinha ?
Cédric Lépine : Quel est votre lien avec ce lieu en particulier ?
Elsa Deshors : Je suis arrivée à Rio au Brésil parce que je faisais un stage d’éducation à l’image. J’étais en Master de documentaire à Marseille et il y avait une Brésilienne dans ma classe. Je suis partie parce qu’elle avait un projet avec la Cinémathèque française, intitulé « Images en mouvement ». Dix écoles de Rio ont été choisies pour participer à ce projet et recevoir des cours d’éducation à l’image. Il y avait cinq écoles dans des favelas, et cinq écoles des quartiers plus riches. Le but était de créer une rencontre par le cinéma entre les différentes classes sociales. Ça a très bien marché, ça a donné lieu à plein de petits films différents selon les quartiers. C’est comme ça que je suis entrée dans les favelas et que j’ai découvert les différences entre les quartiers et les frontières dans la ville, entre les quartiers riches qui ne fréquentent pas du tout les favelas et tous les a priori qui existaient, exactement comme nous pouvons en avoir par rapport à nos banlieues. On nous dit que ne n’est que de la violence, alors que finalement ce sont des travailleurs pauvres. J’ai eu envie, à travers ce film, d’entrer à l’intérieur des favelas, et de le faire aussi pour les gens de Rio. Sinon, ce film est né d’une amitié avec une architecte, Elsa Burguière. Elle est française et vit à Rio ; elle a monté l’agence « Arche » qui s’occupe de l’aménagement des favelas. C’est elle qui m’a emmenée sur ce chantier autogéré : « Esperança ».
C. L. : Qu’est-ce qui pousse ces gens à s’organiser ? Est-ce une défection totale de l’État ? Y a-t-il des groupes évangélistes ou catholiques qui viennent appuyer tout ça ? Quels sont leurs alliés et pourquoi sont-ils dans cette situation de devoir fonctionner en autogestion ?
E. D. : C’est un syndicat qui gère le chantier et aussi une ONG. Martins en fait partie. Le lien entre Martins et Marcia n’est pas forcément montré dans le film, mais c’est le lien entre cette ONG et Marcia. Il s’agit bien d’un déficit de l’État en logement social. Au Brésil, le logement social n’existe pas. C’est un peu différent de ce qui se passe en France : il n’y a pas d’accès à la location, c’est directement un accès à la propriété. On est tout juste en train de parler, dans la campagne électorale actuelle, de la possibilité d’accéder à la propriété en payant une forme de loyer. Il s’agit donc bien d’un déficit de l’État, et aussi et surtout de gens qui ont envie de s’en sortir. Dans ce chantier, ce sont uniquement des gens qui habitent sur des zones à risque (inondations, glissements de terrains). Donc oui, ça part d’un manque, mais on trouve toujours une richesse, aussi, dans cette autogestion. Ce n’est pas manichéen, et c’est ce que j’ai eu envie de montrer dans le film. C’est une idée utilisée par beaucoup d’architectes au Brésil : cette autogestion permet une appropriation par les habitants eux-mêmes de ces quartiers populaires. Ma réflexion en tant que Française, c’était de penser que dans nos banlieues vétustes les habitants n’ont qu’une seule envie, c’est de partir. J’ai trouvé ce phénomène d’appropriation qu’il y a là-bas intéressant. Les quartiers deviennent propres, tout le monde connaît son voisin et prend soin de l’autre et de l’habitat. C’est ce qui m’a intéressé, et c’est ce que mettent en avant les architectes là-bas. Oui, l’État n’intervient pas. Comme on le voit, ils travaillent 17 heures par jour, en plus de leur travail, ils construisent leur maison, etc. Marcia l’explique très bien. En France il y a eu ce mouvement des « Castors » : c’était un peu pareil, dans la période d’après-guerre, pour reconstruire des logements sociaux qui appartenaient ensuite aux gens. Pour ce qui est de l’Église, l’Église catholique (maintenant ce sont les évangélistes mais ça n’a pas toujours été comme ça), sous la dictature, comme en Argentine, c’est vraiment des prêtres qui étaient dans les quartiers populaires et qui faisaient que les choses bougeaient. Le premier chantier qui a été lancé, avant « Esperança », c’étaient des catholiques qui l’avaient mis en place. Mais il n’y avait pas de volonté de conversion, comme c’est le cas chez les évangélistes.
C. L. : Dans votre film, on entre directement dans le quotidien de la favela, dans une rue bien précise, en relation avec un personnage. Et ce sont deux personnages qui ont pour lien d’être militants. Vous n’allez donc pas voler l’intimité des gens parce qu’ils sont déjà dans l’espace public, ils ont l’habitude de parler, et pour eux se confronter à ta caméra c’est aussi se confronter à l’espace public.
E. D. : C’est vrai que je les ai rencontrés plutôt à l’extérieur de chez eux, ce ne sont pas des gens avec qui j’ai été intime. Je les ai d’abord abordés par le côté politique, militant, Martins surtout, que je n’ai jamais réussi à pousser dans ses retranchements, à part, heureusement, lors de cette interview pendant qu’il est en train de faire des cartons chez lui. À ce moment-là, je lui posais des questions et il faisait comme s’il ne comprenait pas, alors que je sais bien qu’il comprend. Et donc il ne voulait pas que j’aille par-là, là-dedans, parce qu’il sait, il a l’habitude de parler aux caméras, il en fait plein des interviews. Je suis sûre qu’on peut le voir sur Internet dans d’autres films. Je n’étais pas la première, mais je pense que j’étais la première à vouloir entrer dans cette intimité. Je fais du documentaire, je ne fais pas de reportage, j’ai donc besoin d’aller en profondeur avec les gens, de les connaître. C’est pourquoi je répétais mes questions : il ne voulait pas répondre, mais heureusement il a lâché quelques mots. Il a parlé un peu plus de lui, de son enfance, de ses souvenirs, comme le fait qu’il se dise révolutionnaire parce qu’il ne payait pas ses entrées dans les fêtes, etc. C’est le seul moment où j’ai pu gratter quelques informations, et heureusement que je les ai, c’est important. Comme lorsqu’il dit : « Moi, ma vie c’est la lutte, sans la lutte je ne suis rien », c’est le moment intime pour moi vraiment important. Pour Marcia c’est moins clair. C’était plus facile d’entrer dans son intimité parce qu’elle a sa fille et parce qu’elle n’est pas habituée aux caméras. C’était la première fois qu’elle était filmée.
Lisez la totalité de l’interview en PDF : Entretien avec Elsa Deshors, réalisatrice de « De briques et de tôles »
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