Voici l’introduction que j’ai écrite en préface du roman Dandara. (Mais que cela ne vous empêche pas d’acheter le livre 🙂 🙂 )
Les premiers Noirs d’Afrique furent déportés comme esclaves au Brésil à partir des années 1540. L’esclavage perdurera jusqu’en 1888, le Brésil étant le dernier pays des Amériques à l’abolir.
Cependant, au Brésil et dans tous les pays des Amériques pratiquant l’esclavage, il y a toujours eu une résistance des Noirs à l’exploitation et à l’oppression – permanence des cultes religieux et des coutumes d’origines africaines, fugues et rébellions individuelles ou collectives, achat de liberté grâce aux lettres d’affranchissement, jusqu’au suicide, preuve du désespoir individuel ultime.
Le roman que vous allez lire se passe dans les années 1680-1695, à l’époque où le plus grand chef du quilombo[1] de Palmares, Zumbi, divise le pouvoir avec sa compagne, la guerrière Dandara – un personnage peu connu de l’histoire brésilienne, mais non moins admirable…
Le quilombo de Palmares est mythique car il a tenu en échec pendant près d’un siècle les expéditions militaires hollandaises et portugaises. Il s’agit donc de la révolte d’esclaves la plus longue de l’Histoire – à titre de comparaison, la révolte de Spartacus dura dix-huit mois. Aujourd’hui, Zumbi est devenu le symbole du mouvement Noir au Brésil – et le jour de sa mort, 20 novembre, est proclamé Journée de la conscience Noire.
On a trace de l’existence du quilombo de Palmares dès 1597, dans la capitainerie[2] du Pernambouc, plus précisément dans la chaîne montagneuse de la Barriga (aujourd’hui dans l’État d’Alagoas). C’est une région d’accès difficile, à la végétation dense et hostile, avec de nombreux marais infestés de moustiques – mais avec aussi des terres fertiles et de nombreuses rivières. Un lieu de refuge idéal pour les esclaves en fuite…
On pense que le nom Palmares vient de la très grande quantité de palmiers présents dans la région, et de l’importance cruciale de cet arbre. Depuis l’écorce en passant par le bois, les palmes et les fruits, tout s’utilise. Les Palmarinos s’en servaient pour la construction des huttes et des toits ; ils mangeaient les fruits et faisaient macérer les feuilles pour en faire de l’alcool ; ils en extrayaient de l’huile pour l’alimentation et l’éclairage, entre autres utilités.
Palmares s’est développé au fil des ans, gonflé par l’afflux d’esclaves s’enfuyant des plantations de canne à sucre de la région. Le camp rudimentaire des débuts se transforma en une communauté très organisée rassemblant 11 villages (appelés mocambos), interdépendants sur le plan économique et militaire. Politiquement, Palmares était gouverné par un roi.
On estime qu’à son apogée, Palmares rassemblait entre 20 000 et 30 000 ex-esclaves rebelles. Le principal mocambo, appelé Cerca Real do Macaco, regroupait probablement 6 000 habitants – chiffre qu’il faut comparer à la population de la ville de Rio de Janeiro de l’époque, 7 000 habitants. On peut donc comprendre le danger que représentait cet État Noir indépendant pour le Brésil et les Amériques…
À la différence des grandes plantations coloniales, caractérisées par la monoculture, l’économie de Palmares était très diversifiée. Les habitants pratiquaient la chasse, la pêche, la cueillette et l’agriculture, et travaillaient le fer et la vannerie. Ils étaient totalement indépendants, et utilisaient leurs excédents agricoles pour commercer avec les petits paysans ou commerçants de la région, auprès desquels ils se ravitaillaient en sel, armes à feu, poudre ou tissu. Extrêmement bien organisé, leur réseau de complicités dans la région leur permettait de s’approvisionner et d’être informés.
Les esclaves fugitifs de Palmares (ainsi que les hommes et femmes nés au quilombo, donc nés libres) vivaient en liberté et semaient la terreur dans la région, adoptant une véritable tactique de guérilla. Ils pillaient les entrepôts, volaient du bétail, incendiaient des propriétés agricoles – et surtout, fait hautement symbolique, libéraient leurs frères et sœurs dans des razzias qui auraient touché plus de 60 plantations de canne à sucre. Il n’en fallait pas plus pour créer le mythe de Palmares, premier royaume Noir hors d’Afrique.
La première expédition militaire contre Palmares eut lieu dès 1602. Mais la guerre entre les Hollandais et les Portugais – pour la conquête de ce pays aux dimensions immenses et aux richesses prometteuses – désorganisait la colonie et favorisait la fuite d’esclaves, les deux grandes puissances européennes ayant d’autres priorités. En 1654, les Hollandais furent définitivement expulsés du Brésil : les maîtres de plantation portugais purent alors récupérer l’hégémonie sur le sucre, ce produit précieux, base de l’économie colonialiste. Ayant investi dans l’achat d’esclaves pour augmenter la production, ils exigèrent du gouverneur de la Capitainerie du Pernambouc de mettre fin aux attaques des rebelles qui leur volaient leurs esclaves et leurs armes.
Les expéditions punitives des colons et de l’armée portugaise se multiplièrent contre Palmares, et les décennies suivantes furent marquées par une guerre perpétuelle entre colons et habitants des quilombos, qui tournait plutôt à l’avantage des Noirs rebelles. Palmares était de mieux en mieux protégé grâce à un système avancé de protection militaire avec des palissades, des fosses, etc., qui fortifiait efficacement les villages. En outre, grâce à un réseau d’espions et de sentinelles, les Palmarinos réussissaient à être prévenus de l’arrivée des soldats : ceux-ci, après des semaines de marche dans la jungle, trouvaient souvent les villages désertés.
En 1678, Ganga-Zumba, grand roi de Palmares (et prédécesseur de Zumbi) signa un traité de paix accordant une certaine autonomie au territoire de Palmares en échange d’une loyauté envers la Couronne. Mais l’accord fut finalement rejeté par les Palmarinos et la guerre reprit de plus belle. Cette fois, à l’avantage des Portugais…
Enfin, en 1695, le quilombo de Palmares – désormais dirigé par Zumbi et Dandara – fut attaqué par six canons et quasiment entièrement détruit sous le commandement de l’explorateur Domingos Jorge Velho. Zumbi en réchappa de peu, mais fut trahi et capturé quelques mois plus tard le 20 novembre 1695. Sa tête empalée fut exposée sur la place principale de Recife, la capitale de la région, pour terroriser la population et dissuader quiconque de marronner.
Après cette défaite, quelques villages issus de Palmares continuèrent à subsister ça et là, sans jamais réussir à retrouver l’unité et la gloire d’antan. Dix ans plus tard, il ne restait plus rien du quilombo de Palmares.
Dandara, elle, avait juré qu’elle ne serait jamais esclave. Voici sa vie. © Paula Anacaona, tous droits réservés.
[2] À l’époque coloniale, la Couronne Portugaise délégua à des particuliers (des membres de la petite noblesse du Portugal, appelés les « bénéficiaires ») la tâche de coloniser et d’exploiter le Brésil. Cela lui permettait d’occuper ces terres immenses sans mobiliser de ressources financières de sa part. En 1534-1536, le Brésil fut ainsi divisé en quinze capitaineries. Ce système de transmission héréditaire fut abandonné en 1759.