Par Clémence Schilder, diplômée en sociologie, militante féministe et alliée de la lutte anti-raciste, passionnée par les voyages et la littérature, amoureuse inconditionnelle du Brésil et éternelle curieuse, en réflexion continuelle sur le monde.
Avez-vous déjà entendu parler de colorisme ? Pour faire simple, le colorisme est un concept sociologique qui désigne la différence de traitement social entre les personnes à peau claire et les personnes à peau sombre. La norme étant la peau blanche, tout ce qui s’en éloigne est infériorisé, considéré comme laid, ou arriéré. Malcolm X critiquait d’ailleurs cette hiérarchisation :
Le terme colorisme, traduit de l’anglais américain “colorism” vient directement des Etats-Unis (même si on le retrouve dans toutes les sociétés post-esclavagistes). Il permet de nuancer l’opposition noir/blanc en abordant les différentes hiérarchies sociales induites par la racialisation (Pap N’Diaye, 2006). En effet, lors de la colonisation, plusieurs classifications raciales sont nées, celles-ci attribuaient un rôle social bien précis en fonction de la teinte de la peau.
Pour comprendre d’où vient le colorisme, il faut donc retourner au temps de la colonisation, au temps de Solitude. Dans le roman Solitude la flamboyante, le colorisme est central dans la compréhension de l’expérience de cette héroïne métissée. Cette dernière est définie comme Mulâtresse, terme qui désigne le croisement entre le sang blanc et sang noir. Cette désignation, connotée péjorativement, renvoie au mot “mulato” qui désigne le croisement stérile de l’âne et la jument.
Il existe une multitude de hiérarchies sociales, construites à partir du prisme de la race et élaborées pendant l’esclavage. Ces dernières permettaient de désigner les croisements entre le sang blanc et sang noir. Par exemple, l’avocat créole martiniquais Moreau de Saint-Méry supposait que l’homme était un tout de cent vingt-huit parties.
“Il distinguait ainsi, du plus noir au plus blanc, le sacatra, le griffe, le marabout, le mulâtre, le quarteron, le métis, le mameluco, le quarteronné, le sang-mêlé.”
Pap N’Diaye, 2006
Toutes ces distinctions entre les personnes à peau plus claire ou foncée ont débouché sur des différences de traitement : le sang blanc ôtait soi-disant les traits biologiques les plus dégradants contre le sang noir qui ensauvageait….
Dans Mémoires de la plantation, Grada Kilomba revient également sur le colorisme, à travers le témoignage d’Alicia, une femme métissée :
“Ces classifications coloniales hostiles rappellent à Alicia qu’elle occupe une sorte de sous-catégorie qui la sépare des Noirs et des Blancs, c’est à dire qu’elle ne fait partie ni des rejeté.es ni des accepté.es (…) elle est entre le ‘pire’ et le ‘moins pire’. ”
Grada Kilomba, Mémoires de la plantation, p.148
Comme nous le découvrons dans le roman Solitude, les esclavagisé·es à peau claire étaient plus souvent assigné·es aux tâches domestiques, étaient mieux traité·es, perçu·es comme plus intelligent·es. Iels jouissaient d’une position intermédiaire entre Blancs et Noirs. Au contraire, les esclavagisé·es à peau foncée étaient destiné·es aux tâches plus physiques, au travail dans les champs, et étaient fantasmé·es comme plus fort·es.
“Les Mulâtresses pouvaient être domestiques, cuisinières, demoiselles de compagnie, car leur couleur claire heurtait moins l’œil délicat des maîtres. […] Les maîtres préféraient s’entourer de cochers, de valets, de domestiques Mulâtres.”
Solitude la flamboyante
En plus de bénéficier d’une différence de traitement, les esclavagisé·es métisses pouvaient jouir d’une position sociale plus favorable que les Noir·es à peau sombre. Iels constituaient majoritairement la classe des Libres de couleur et avaient plus de chance d’être affranchi·es. C’est le cas des Dumas dans le livre par exemple.
Mais ces Libres de couleur étaient, dans leur écrasante majorité, des Mulâtres. À mots couverts, la métropole laissait ainsi entendre que le sang blanc sauvait. Le noir Esclave, tout ensauvagé de son sang d’Africain, n’était pas prêt à être libre.
Solitude la flamboyante
Ainsi, la moindre goutte de sang blanc permettait aux esclavagisé·es plus clair·es de peau de s’élever socialement. Cette différenciation avait pour principal objectif de les diviser et d’éviter des alliances entre Noir·es libres et esclavagisé·es.
L‘époque coloniale a considérablement façonné les systèmes de domination actuels. Notre monde moderne s’est fondé sur le racisme et l’inégalité. Le colorisme ne s’est pas arrêté à la fin de l’esclavage, il est encore bien présent dans nos sociétés aussi bien en France qu’aux Etats-Unis.
“Il n’y a rien d’étonnant au sein d’une famille à entendre la mère déclarer ‘X est le plus noir de mes enfants’. C’est à dire le moins blanc. “
Frantz Fanon, cité par Grada Kilomba
Grada Kilomba reprend l’analyse de Frantz Fanon : le sujet noir n’existe qu’en relation avec le Blanc. Nous sommes obligé.es de nous regarder “comme si nous étions à leur place”. Et nous nous comparons physiquement à eux, la norme supérieure.
Des études sur la bourgeoisie noire aux Etats-Unis, notamment celle d’Edward Franklin Frazier, ont démontré que l’ancienne aristocratie noire, à peau claire, était issue des hommes Libres de couleur des grandes villes du Sud de l’esclavage (Pap N’Diaye, 2006).
D’autres études en sciences sociales ont également révélé des différences de traitement face à l’accès à l’emploi ou au logement entre les personnes racisées. Effectivement, les personnes ayant une peau plus claire rencontreraient moins de difficultés dans la recherche d’un emploi ou d’un logement que les personnes à peau plus foncée.
“Il est probable que plus l’apparence d’une personne correspond aux critères de beauté blancs, plus sa position sociale est élevée et, corrélativement, plus les discriminations qui pèsent sur elle sont atténuées.”
Pap N’Diaye, 2006
En France, l’idéologie républicaine, établie comme théoriquement indifférente aux couleurs de peau, a fortement influencé le rejet de toutes théories raciales. De ce fait, les études sur le colorisme demeurent assez limitées en France. Néanmoins, plusieurs militant·es et chercheur·ses soulignent l’influence des pensées coloniales en France Métropole.
Pap N’Diaye explique très clairement les conséquences de la pensée coloniale sur la société française.
“L’objectif étant de créer une ‘ligne de couleur’ en France : faire en sorte que les considérations raciales régissent l’ordre social en métropole aussi bien que dans les colonies. La peur du mélange des races, du métissage, omniprésente dans le monde colonial, s’était déplacée en métropole.”
Pap N’Diaye, 2006
Le colorisme, héritage de l’histoire coloniale, existe bel et bien en France, et plus généralement, dans le monde entier. Il se manifeste de manière différente dans plusieurs espaces.
Le livre de Joice Berth, Empowerment et féminisme noir, comporte tout un chapitre sur l’esthétique – comme outil d’affirmation de fierté raciale et de confiance en son image. Elle parle à plusieurs reprises du colorisme – et notamment du “mépris affectif” dont sont victimes les femmes noires à peau foncée, qui sont “hors du marché affectif”. Plus de la moitié vivent seules (ni mariées, ni en concubinage). En revanche, leur présence est naturalisée sur le « marché du sexe », de l’érotisation et de l’ultra-sexualisation. À l’opposé, les femmes blanches appartiendraient, selon ces constructions, à la « culture de l’affect », du mariage, de l’union stable. Et le dicton populaire qui suit montre que cette situation n’est pas nouvelle : « La Blanche pour se marier, la Mulâtresse
pour forniquer et la Noire pour travailler »… (p.113)
Quelques faits illustrent la présence du colorisme dans nos sociétés (Ceci est une liste non exhaustive) :
Sources :
(Crédit photo : Aniya Lyons)
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