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Introduction à l’appropriation culturelle, symbole des rapports de pouvoir

Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ? Peut-on faire ce qu’on veut de la culture des autres ?

Ce thème est complexe – et sensible. Il déclenche des réactions que chaque camp trouve exagérées – ceux qui se sentent victimes d’appropriation culturelle, et ceux qui la pratiquent en ne « voyant pas le mal ». Certains disent que ce serait un débat « importé » des Etats-Unis (ah bon ?), prélude du règne du « politiquement correct »… Les médias n’hésitent pas à utiliser les termes de « guerre identitaire », de « guerre culturelle »…

Il était temps qu’un intellectuel s’en empare et donne des bases théoriques sérieuses pour pouvoir y réfléchir – sinon, cela devient n’importe quoi 🙃

Premièrement, il convient de s’informer – très souvent, les informations nous arrivent déformées. Ainsi, de l’exemple du turban de Thauane, cité plusieurs fois par Rodney William. Cette femme blanche aurait été « attaquée » par des femmes noires «furieuses» dans le métro, qui lui auraient « arraché » son turban. L’affaire a défrayé les médias et les réseaux sociaux à l’époque au Brésil… Or l’épisode n’a jamais été prouvé. La seule preuve, c’est le post de ladite Thauane, effacé depuis. Un peu léger pour baser un débat de société dessus… Par ailleurs, affirme Rodney William, « Le problème est la façon dont l’industrie de la mode s’approprie ce turban : il apparaît sur les couvertures des grands magazines, dans les centres commerciaux, et tout à chacun l’utilise sans connaître le sens et la signification, et sans savoir que, à cause de ce turban, de nombreuses personnes ont été ou sont toujours discriminées, violentées ».

Je vais cette fois prendre deux exemples dont les Français auront peut-être entendu parler, et me baser sur la réflexion de Rodney William pour les analyser.

En 2015, des étudiants américains de l’université Oberlin refusent que soient servis des sandwiches vietnamiens banh mi à la cantine du campus sous prétexte que ce serait une appropriation culturelle. Regardons l’histoire complète (article du New York Times ici) : ces étudiants demandaient à l’entreprise chargée de l’alimentation sur le campus « un peu plus de respect envers les aliments cuisinés », car la recette originale n’était pas respectée – en gros, ils faisaient passer pour un banh mi un sandwich tout mou au coleslaw plein de mayonnaise, et on était loin du vrai banh mi, croustillant et débordant de coriandre fraîche… Objectivement parlant, les étudiants n’étaient donc pas contre la présence de ces sandwiches au menu… On voit bien que l’information nous est arrivée détournée – mais pour le grand public, le mal était fait et débouchait sur un « On ne peut plus manger un sushi tranquille ! » général.

De ce que j’ai pu comprendre de l’essai de Rodney William 😊, et c’est mon interprétation, cette dernière polémique me semble exagérée. « Il n’est interdit à personne de goûter ou de préparer des spécialités culinaires originaires d’autres cultures. D’ailleurs, l’expérience gastronomique est l’une des meilleures formes d’échange culturel et un excellent apprentissage de la diversité. Car les habitudes alimentaires marquent aussi l’identité d’un peuple» dit Rodney William, p.131 de l’Appropriation culturelle. Et ces cas, largement relayés, me semblent plutôt utilisés pour vider de sens le débat et le détourner de ce qui compte vraiment.

Enfin, dernier exemple très relayé : les nattes africaines de Katy Perry. Là encore, le grand public aura retenu de cet épisode que « Les Blanches ne peuvent pas porter des nattes – genre, elles doivent s’excuser quand elles en portent, mais où va-t-on…. ». 😉 Or, ce qui a déclenché le tollé des mouvements noirs, ce n’est pas tant le fait qu’elle se soit fait des tresses… Mais bien qu’elle ait crédité, dans la légende de sa photo, « Katy Kardashian » – comme si Kim Kardashian avait inventé ce genre de coiffures, ou en était sa plus digne représentante… C’est de là que vient le problème. Ici, Katy Perry a « effacé l’origine » de cette coiffure – et c’est là l’un des traits de l’appropriation culturelle tel que défini par Rodney William. En outre, on sait que le thème des cheveux afro est sensible – perpétuellement moqués, devant même être cachés (pendant la période de l’esclavage) ils deviennent à la mode… quand ce sont des Blancs qui les imitent ! Cependant, la réaction de Katy Perry après ces accusations m’a paru intéressante : loin de se draper dans une arrogance, elle affirme (voir la vidéo ici) : « J’ai fait des erreurs, mais j’ai été voir ces femmes pour leur demander pourquoi je ne pouvais pas porter mes cheveux ainsi. Je ne pourrai jamais les comprendre totalement, à cause de qui je suis, mais je peux m’instruire/m’éduquer ». Un bel exemple de compréhension de ce qu’est la “place de la parole” !

Qu’est-ce que l’appropriation ?

Les échanges culturels ont toujours existé entre les peuples, et Rodney William ne les critique évidemment pas. Le lecteur pourra d’ailleurs se rapporter dans son ouvrage au glossaire de fin, qui définit ce qu’est l’acculturation, l’assimilation, l’échange culturel, et leur différence par rapport à l’appropriation.

L’appropriation culturelle concerne le respect à la culture et à la mémoire d’un peuple qui a résisté et continue à résister aujourd’hui ; et va bien au-delà des autorisations ou des interdictions de faire ou de ne pas faire, de porter ou de ne pas porter un accessoire. Elle concerne la structure du pouvoir et la violence systémique contre un peuple et sa culture. Elle s’inscrit donc dans un contexte de relations marquées par la domination.

Pour Rodney William, la lutte des peuples autochtones et esclavagisés pour la résistance de leurs formes d’expression, qui ont ainsi pu survivre pendant des siècles, ne doit pas être brisée par l’avancée conservatrice – après tout, la négation et la déligitimation ont toujours été leur stratégie. A nous de nous faire entendre !

Analyse des photos ci-dessus : Pharrell Williams et défilé de Victoria’s secret. Se solidarisent-ils de la cause autochtone ? Et surtout, ont-ils le droit de porter cette coiffure probablement sacrée ou signe d’autorité ? Quelle est l’utilité de cette photo : se “déguiser” en Autochtone ? Faire “ethnique” ? Le sort des Autochtones s’en trouvera-t-il amélioré, leur culture mieux comprise ?…. A bien des égards, je trouve ces photos problématiques…

Je terminerai par cet extrait, où Rodney William reprend un article de la journaliste Eliane Brum, qui analyse de façon sensée l’épisode de Thauane : « Je perçois que je m’insère dans ce monde par l’expérience d’ “exister violemment”. Comme pour moi il est plus difficile de revêtir la peau d’une femme noire, parce qu’étant Blanche j’ai moins d’éléments qui me permettent de l’atteindre, je dois faire plus d’efforts. Pas parce que je suis une femme géniale – mais par impératif éthique. Et la meilleure façon que je connais pour atteindre autrui, surtout quand, pour des raisons diverses, cet autrui est différent de moi, c’est de l’écouter. Ainsi, quand j’entends dire que je ne devrais pas porter de turban parce que c’est un symbole culturel parmi d’autres pour les femmes noires, j’ai été les écouter. Je crois que c’est quelque chose que nous devons rétablir urgemment. Ne pas répondre à une interdiction par une exclamation : “Bien sûr que si, j’ai le droit !” mais plutôt par une interrogation : “Pourquoi ne puis-je pas ?”. Les réponses catégoriques, tout comme les certitudes, nous maintiennent à la même place. Les questions nous emmènent plus loin, parce qu’elles nous conduisent jusqu’à autrui. » (p.108)

Pour conclure, Rodney William définit donc essentiellement l’appropriation culturelle par :

  • la présence de la domination ; et/ou
  • l’effacement de l’origine du bien approprié ; et/ou
  • une non-reconnaissance du droit d’auteur original (le peuple spolié reçoit un « hommage » tandis que l’entreprise spoliatrice gagne des millions en utilisant ce bien approprié) ; et/ou
  • un non-respect des caractéristiques originales du bien approprié ; et/ou
  • une méconnaissance de l’histoire du bien approprié, et du symbole (religieux, historique, culturel) qu’il peut constituer ; et/ou
  • un manque de solidarité par rapport à la condition du peuple créateur du bien approprié.

Mais je vous laisse lire le livre… 😊

« Chaque individu doit assumer sa responsabilité pour ne pas produire des oppressions » souligne Rodney William. Pour ne pas offenser des peuples et leurs cultures, à nous de réfléchir avant d’agir, avec les bases conceptuelles offertes par ce livre ; à nous de poser la question aux personnes concernées, ou à un spécialiste, en cas de doute.

Anthropologue, docteur en sciences sociales, Rodney William associe à sa pensée des éléments de spiritualité afro-brésilienne (importance de la réciprocité, de l’échange, de la collaboration, de la circulation) à la réflexion de penseurs comme Abdias Nascimento, Kabengele Munanga, Frantz Fanon, ou Stuart Hall, ce qui en fait une réflexion tout à fait originale.

Restez connectés – abonnez-vous à notre Infolettre – nous organiserons bientôt une rencontre enregistrée avec Rodney William, où vous pourrez lui poser toutes les questions que vous voulez !

Aller plus loin avec l'essai L'appropriation culturelle

Paula

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