Appropriation culturelle et racisme sont imbriqués : il y a appropriation lorsqu’une culture se considère supérieure, ce qui lui donne l’autorité pour qu’elle retire un élément ou un aspect de la culture qu’elle considère comme inférieure pour son propre bénéfice. C’est une relation de domination, une façon de dominer la culture qui a été infériorisée.
Par Rodney William, article paru originellement dans Carta Capital.
Pour ceux qui ne le savent pas, le beignet acarajé, spécialité célèbre de la cuisine bahianaise, est une offrande que l’on offre traditionnellement à Iansã, divinité afro-brésilienne ou orixa. Désigné patrimoine national, l’acarajé ainsi que de nombreuses autres recettes qui sont issues des terreiros de candomblé ont conquis les tables de tous les Brésiliens et d’une partie du monde.
Mais aujourd’hui, une partie des vendeuses d’acarajés Bahianaises se sont converties à la religion évangélique/néopentecôtiste – et ont essayé d’ôter du fameux beignet toute trace afro-religieuse, en éliminant les rituels qui précédaient leur vente, en retirant les symboles qui décoraient les plateaux où ils étaient vendus, en changeant son nom d’origine africaine (en le vendant sous l’appellation Bolinho de Jésus, beignet de Jésus). Pour contrer ce mouvement, il a fallu promulguer une loi, mais les dommages sont profonds, car il ne s’agissait pas seulement de réfuter les éléments spécifiques d’une culture. Nous parlons de domination, d’une appropriation indue visant l’exploitation et le profit. Voilà la logique de l’appropriation. Changer le sens, apurer, vider.
Dans le cas du peuple noir, le pire exemple d’appropriation fut l’esclavage. D’abord, ils se sont appropriés les corps, puis les techniques de travail dans les champs et les mines, puis les œuvres sans donner le crédit aux auteurs, puisque tout ce qui était noir appartenait aux maîtres. Le Noir n’avait pas d’âme, le noir n’était pas humain, et le racisme a ainsi justifié une des pires atrocités de l’Histoire.
Samba et capoeira
La samba et la capoeira sont subi le même processus. Pendant des années, cet art martial et cette musique ont été interdits et sévèrement persécutés. De nombreuses personnes sont mortes pour préserver ce patrimoine. Et soudain, l’industrie musicale investit dans la bossa nova, s’exporte dans le monde et gagne des montagnes d’argent. Les sambistes de la favela, noirs et pauvres (excusez le pléonasme), eux, ont fini dans la misère. « Les Blancs ne peuvent-ils pas chanter de la samba ? » vous demandez-vous. Bien sûr qu’ils peuvent. Ce qu’ils ne peuvent pas, c’est nier l’origine de la samba. Ils ne peuvent pas oublier Tia Ciata, Donga, João da Baiana et tous ceux qui ont pris des coups pour préserver cette musique qui identifie aujourd’hui le Brésil dans le monde.
Capoeira
Quant à la capoeira appropriée par les évangéliques, dite « capoeira gospel »… C’est tellement triste que je ne sais que dire. Résistance noire à toute la dégradation que l’esclavage nous a imposée, la capoeira est une lutte, un mouvement de réaction à l’humiliation, au fouet. La capoeira est insurrection, est révolte. La capoeira était autrefois, elle aussi, considérée comme un délit, le saviez-vous ?
La capoeira gospel est bien pire qu’une appropriation culturelle, c’est une malhonnêteté incommensurable. Parce que la capoeira est noire, elle appartiendrait à tous, et on pourrait en disposer comme bon nous semble ? Attendez un peu. Respecter l’histoire du peuple qui l’a créée et préservée est le minimum. Il faut rappeler qu’avant que la capoeira ne soit connue dans le monde entier, avant qu’elle ne devienne acceptable et attractive, les corps noirs tombaient comme des mouches. Le tambour atabaque et le berimbau chantent des faits sanglants pour forger, avec courage et force, l’identité d’un peuple.
La religion afro-brésilienne du candomblé
Dans les rues de Salvador de Bahia, la capoeira et le candomblé sont présents. Dans les rues du Pelourinho, Mère Deborah, femme blanche et prêtresse d’un terreiro de candomblé, regarde avec ses yeux verts le collier de cauris qui orne le cou d’une touriste. « Comment peuvent-ils utiliser quelque chose d’aussi sacré comme bijou ? » demande-t-elle, indignée. En bonne fille de l’orixa Nanã, elle sait très bien ce que ce « collier » signifie.
On ne peut pas manquer de respect aux symboles sacrés, ils ne peuvent pas être vidés de leur sens et commercialisés comme simples bijoux. Ils font partie de la culture d’un peuple. Même si la possibilité d’instaurer le sacré dans n’importe quelle époque, n’importe où, est un droit de tout initié au candomblé, il ne faut en aucun cas le confondre avec l’indulgence. La religiosité noire surgit des rues et des carrefours, elle est dans la samba, la capoeira, l’acarajé. Un culte qui se pratique avec joie et jouissance, avec la musique, la danse, l’art. Une foi qui se pare de colliers et de cauris, de formes et de couleurs. Mais tout cela a une origine, une race, une histoire.
Même lorsqu’elles sont adoptées par des personnes d’autres origines ethniques, les religions comme l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, entre autres, ne voient pas leurs origines effacées ; tout le monde connaît et respecte leur ascendance arabe ou orientale. Alors je ne peux que m’insurger lorsque j’entends : « L’orixa est amour, il est énergie, il n’a pas de couleur ! » Non, c’est faux. L’orixa est noir. Demandez-vous : à qui ce genre d’affirmations profitent-t-elles ? Quelle est l’intention derrière le fait d’imaginer que les orixas n’ont pas de couleur ? Pourquoi ne peuvent-ils pas avoir une couleur ?
Être du candomblé signifie donc assumer une croyance discriminée et persécutée, et exige de se positionner contre le racisme et la condition du Noir dans la société brésilienne. On ne peut comprendre le candomblé dans son essence sans comprendre qu’il s’agit d’une religion noire. Les Blancs peuvent donc être des fidèles du candomblé (et nous avons d’ailleurs l’exemple de dignitaires du candomblé blanches célèbres, comme Gisèle Cossard (ci-dessous)) à condition de savoir et d’assumer que leur orixa est noir.