Nous serons cette année aux Rencontres populaires du livre de St Denis les samedi et dimanche 6-7 octobre 2018.
La marraine est cette année la grande Annie Ernaux !
Une écrivaine dont j’ai toujours adoré la rage des textes… Et le texte qu’elle a publié en apprenant qu’elle était marraine de cette édition a conforté mon affection pour elle 🙂
Le voici :
» Quand il m’a été proposé d’être la marraine des 2èmes Rencontres populaires du Livre de Saint-Denis, quelque chose a bondi en moi qui m’interdisait de décliner cet honneur. Quelque chose qui a à voir avec ma vie, avec ce que j’écris, pourquoi j’écris et dont ces Rencontres dans la ville du département le plus cosmopolite, le plus riche de potentialités avec son grand nombre de jeunes, département stigmatisé par méconnaissance, participent. Lire. Aimer lire. Lire quoi et pourquoi lire. Mais également : pourquoi ne pas lire.
Comment pourrais-je ne pas être impliquée par ces questions, moi qui me suis juré à vingt ans d’écrire « pour venger ma race » – mon grand-père illettré et tous ceux qui avaient quitté l’école à 12 ans pour le champ ou l’usine, comme mes parents – mais aussi, moi qui n’ai cessé de retourner ces mots prononcés un jour par mon père, « les livres c’est bon pour toi, moi je n’en ai pas besoin pour vivre ». Vivre, dans le sens où il l’entendait, c’est bien sûr travailler, gagner de quoi subvenir aux besoins matériels, pouvoir se soigner et aussi discuter, rire, avoir des rapports sociaux, profiter de l’air et du soleil. C’est l’expérience du réel, de ce qui existe en dehors de l’univers des mots. Non, lire n’est pas vivre au sens strict, aucun livre n’évite la maladie, la perte d’un emploi, d’un logement, aucun livre n’empêche une embarcation de migrants de couler en Méditerranée ni la mort d’un enfant.
Le pouvoir des livres est ailleurs, dans l’élargissement du monde, la connaissance d’autres vies, l’éveil en soi de pensées et de sentiments insoupçonnés qu’ils apportent, avec des modalités différentes selon qu’il s’agit de romans, de récits, de poésie ou d’essais. Il est dans tout ce qui porte l’individu au-delà de soi et qui le sort – même à son insu – des eaux glacées du calcul égoïste. Car la lecture crée des empathies avec des destins et des solidarités invisibles, lesquelles peuvent se muer en actions effectives. Et, par-dessus tout, si la pire aliénation est de ne pouvoir identifier, évaluer ce qui vous manque, lire donne peu ou prou la conscience de ce manque.
C’est cette fois un autre souvenir personnel qui me vient, lié à ma mère. Jeune ouvrière d’usine et chargée du ménage des bureaux le soir, grande liseuse et pauvre, elle se dépêchait de lire en cachette quelques pages du roman caché dans le bureau d’une secrétaire ou d’un comptable et elle continuait sa lecture le lendemain. Comment ne pas attribuer à cette avidité de lecture ce désir de justice et de liberté, ce mépris de l’argent et des puissants qui l’a toujours animée ?
Mais dira-t-on, les temps ont changé et, aujourd’hui, lire, on ne fait que cela, tous, sur les écrans numériques, du matin au soir. Sauf qu’il ne s’agit pas de la même lecture que celle des livres. On trouve tout, en effet sur la Toile, informations innombrables, avis, absorbés dans une sorte de lecture en miettes, qui ne laisse pas de traces dans la mémoire, à la différence de l’ouvrage, qui représente toujours une totalité, plus ou moins complexe, se déployant dans une durée variant suivant le nombre de pages. Les enquêtes ont montré que, qui que nous soyons, nous restons sur Internet dans un entre soi, une sorte de pré carré lié à nos intérêts alors que le livre nous défamiliarise de notre monde. Devant un écran, qui songe à « lever la tête » pour rêver, réfléchir, cette lecture décrite par Roland Barthes, dans laquelle on dialogue silencieusement avec le monde et les personnages d’un auteur ?
Des livres, beaucoup de livres, sont irremplaçables, dès l’enfance, pour la construction de soi, la compréhension et l’acceptation de la diversité, le refus des soumissions. Y aurait-il, chez nos dirigeants, un reliquat de la vieille crainte des livres, eux qui nous prescrivent de marcher et de faire du sport, de manger 5 fruits et légumes par jour mais jamais de lire un livre ?
C’est la conviction que les livres sont nécessaires à la vie, qu’ils peuvent contribuer à la changer, qui est au cœur de la manifestation de Saint-Denis. Ce grand rendez-vous est l’occasion d’échanger et de débattre autour de ce qu’ils nous apportent comme questions sur le monde et sur nos vies. Pour les écrivains, engagés de plus en plus nombreux dans les luttes sociales, c’est la possibilité d’écouter ce que les lecteurs – et les pas encore lecteurs- disent d’eux-mêmes, de leur quotidien et de leurs espoirs. Brecht a écrit à propos de l’art: « Comment pourrait-il émouvoir les hommes s’il ne se laisse plus émouvoir par leur destinée ? ». Dans ces mots, qui n’ont jamais quitté ma pensée, je vois le défi de faire de la littérature et la culture en général le fer de lance pour la liberté et la justice. C’est le défi même de ces Journées et je suis fière d’en être la marraine. »
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Les éditions Anacaona seront donc aux côtés de nombreux éditeurs indépendants et présenteront leurs livres pendant deux jours, le samedi 6 octobre et dimanche 7 octobre 2018. L’occasion de sortir des sentiers battus par les gros best-sellers ! En plus, samedi de 16h30 à 17h, je présenterai le roman « Tatou ».
QUAND : samedi 6 octobre (11h-19h) et dimanche 7 octobre (10h30-18h).
OU : 5 rue de la légion d’honneur, Saint-Denis (métro Basilique Saint-Denis). En face de la mairie, à gauche de la médiathèque, salle de la légion d’honneur.
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